Ce
fut en ornant le jardin de tout un peuple de superbes statues que le Conseil
des Anciens, mettant ainsi en application les anciens projets de David
et de Sergent, en fit le lieu de promenade le plus agréable de
la capitale. Leconte, chargé des aménagements par le conseil,
fit main basse sur les œuvres d’art de Sceaux, Fontainebleau,
Ménars et surtout Marly ; leur transport se fit par voie d’eau.
En plus de multiples statues, dont certaines provinrent même de
Versailles, Leconte commanda des bancs de pierre, des vases de marbre,
des bases de colonnes. Le marbre des piédestaux de la place de
la Concorde et de la place Vendôme, que l’on démolissait,
fut également utilisé.
Le
sculpteur Masson dirigeait les opérations. Il lui fut attribué
un local au premier étage du pavillon de l’Egalité,
là où avaient été, après sa mort, rangés
les papiers de Robespierre. Un atelier de restauration fut aménagé.
C’était
donc dans un jardin complètement transformé que l’on
pouvait flâner vers 1799. Cléopâtre, Vénus,
Apollon, Laocoon, Diane, Rousseau et l’empereur Commode accueillaient
les promeneurs sur la terrasse du Bord-de-l’eau ; Adonis, les quatre
Périodes de l’Amour, le dieu Pan devant le château
; Diane, Bacchus, Glicère, Castor et Pollux du côté
de la terrasse des Feuillants ; et, partout ailleurs, des Gladiateurs,
Enée portant son père Anchise, Lucrèce, Saturne et
Cybelle, Méléagre, le centaure Chiron, Papirius, Mercure,
Flore, Agrippine, Scippion, Hannibal…tous nés du talent d’un
Lepautre, d’un Coustou ou d’un Coysevox. Deux lions de marbre
blanc encadraient également l’entrée occidentale du
pavillon central du château.
Leconte
projetait également d’établir dans le jardin des fosses
d’aisance, de restaurer les terrasses, d’opérer un
nivellement général, de construire une nouvelle orangerie
et de combler le fossé séparant le jardin de la place de
la Concorde, fossé dont le fameux Pont-tournant fut d’ailleurs
démoli pour être remplacé par une construction de
pierre.
Des
portiers, placés aux grilles des Feuillants, du Manège,
du pont National et du Pont-tournant, interdisaient l’accès
du jardin aux promeneurs indésirables, la cocarde tricolore restant
obligatoire. Quatre surveillants contribuaient au maintien de l’ordre
concurremment avec la garde des vétérans invalides, divisée
en quatre compagnies de cinquante hommes chacune. Mobilisée par
le mouvement militaire, celle-ci dut d’ailleurs quitter Paris en
messidor an VII (juin 1799).
De
frimaire (novembre) à floréal (avril), le jardin fermait
ses portes à six heures du soir. Les promeneurs en étaient
avertis par un roulement de tambour. Seuls pouvaient ensuite y pénétrer
les députés, les militaires — généraux,
adjudants, officiers porteurs d’ordres —, les commis, les
employés et les garçons de bureaux.
Le
public était fortement engagé à respecter le jardin.
La commission des inspecteurs fit afficher des placards invitant les parents
à surveiller leurs enfants et à tenir leurs chiens en laisse.
Les jeux de ballon et de volants furent interdits. Les lieux n’en
restaient pas moins fréquentés, surtout le soir, par un
public des moins recommandables. Filles publiques, voleurs, mutilateurs,
voyous en tous genres étaient régulièrement conduits
au poste de garde. Les fossés de la place de la Concorde étaient
peuplés de prostituées et de filous. Le jardin se transformait
à la tombée de la nuit en un « réceptacle d’une
infinité de personnes des deux sexes (qui venaient) tout exprès
pour se livrer aux passions les plus honteuses et à tous les genres
de débauche que la perversité peut suggérer ».
Les
étalages et les échoppes, si décriés sous
la Convention, étaient par ailleurs toujours présents. Leconte
proposa de les chasser en frimaire an IV (décembre 1795), et la
commission des inspecteurs en ordonna la disparition quelques mois plus
tard. Il semble que rien n’y fît. Les guichets du Carrousel,
la terrasse du Bord-de-l’eau, le quai des Tuileries et le fossé
du Pont-tournant restaient les lieux d’implantation d’une
multitude de boutiques où prostituées, marchands et joueurs
se rencontraient. Des jeux prohibés, assidûment fréquentés
par les militaires et les enfants, étaient organisés par
« une classe de fainéants et d’escrocs ».
Des
fêtes étaient parfois organisées dans le jardin. Celle
du 30 ventôse an VII (20 mars 1799) s’y déroula en
l’honneur de la Souveraineté du Peuple. Le château
fut illuminé ; entre le bassin rond et le pavillon de l’Unité
fut dressé un haut monument figurant le faisceau de la République,
qu’entouraient des boucliers portant les noms des départements
; des étendards conquis en ornaient la base ; il était surmonté
des drapeaux français et des républiques-sœurs entrelacés.
Sur les faces du stylobate étaient gravées des inscriptions
révolutionnaires.
Comme
il l’avait été sous la monarchie constitutionnelle
et le gouvernement révolutionnaire, le château fut le
témoin
d’événements décisifs pour la Révolution.
Les
élections de germinal an V (mars-avril 1797) avaient vu une écrasante
victoire de la droite. Les conseils furent peuplés de députés
contre-révolutionnaires et modérés. La crise se noua
entre le Corps législatif et les directeurs républicains.
Pour la résoudre, ces derniers résolurent d’agir en
organisant un coup d’état militaire. Hoche envoya ses troupes
à Paris, et Bonaparte, Augereau, qui fut chargé du commandement.
Le
18 fructidor (4 septembre), à trois heures du matin, les colonnes
d’Augereau cernèrent les Tuileries. Il fut sommé à
l’officier de cavalerie posté au Pont-tournant d’ouvrir
la grille du jardin pour les laisser passer. Le général
Lemoine, agissant au nom du Directoire, lança le même
ordre au commandant des grenadiers du Corps législatif, Ramel,
soulignant l’importance de ses effectifs : mille cinq cents
hommes, soutenus par douze mille autres armés de quarante canons.
Refusant d’obéir,
Ramel courut au pavillon de la Liberté et prévint du danger
les quelques députés royalistes qui s’étaient
réunis dans la salle de la commission des inspecteurs, parmi
lesquels Rovère et le nouveau président des Cinq-Cents,
le général
Pichegru, avant d’ordonner aux commandants de postes du jardin
de na pas céder.
Lemoine
parvint pourtant bientôt à venir à bout des résistances
des grenadiers qui gardaient le Pont-tournant, et ses troupes se répandirent
dans le jardin. Une batterie fut pointée en direction de la salle
des Machines du château. Ramel voulut organiser la résistance,
mais les députés, résignés, l’en dissuadèrent.
Les troupes se postèrent sur la terrasse des Feuillants et envahirent
la place du Carrousel. Puis le général Verdière se
présenta à la commission pour annoncer aux députés
qu’il avait ordre de les conduire au Temple et d’emmener les
clés du château au Luxembourg ; mais aucun d’eux n’accepta
de le suivre. |