Le jardin national.

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Cela n’empêcha pourtant pas le jardin de s’enrichir de nouveaux ornements. Le sculpteur Dejoux transporta au château une vingtaine de statues en marbre à la fin de 1793. En pluviôse an II (février 1794) fut installé, au centre de l’allée qui longeait la terrasse des Feuillants, un buste de Bara. Il était flanqué de deux colonnes soutenant un petit trophée, l’une portant le texte du décret justifiant la présence de la figure, l’autre un récit de la vie du jeune martyr de la Liberté. Des fleurs aux trois couleurs dessinaient les mots de « Vive la République ». Le buste était surmonté d’un toit rustique soutenu par quatre piques, et placé devant un épicéa uni à quatre peupliers, provenant de Saint-Cloud, par des guirlandes de fleurs et de fruits. Puis, en brumaire an III (octobre), deux palmiers du château de Brunoy, de nombreux vases de marbre blanc et des fûts de colonnes arrivèrent à leur tour. En thermidor (juillet 1795), les entrées du Pont-tournant, du pont National et de la cour du Manège s’ornèrent de nouvelles grilles rapportées notamment de Bellevue et Meudon, ainsi que la terrasse des Feuillants et , plus tard, la place du Carrousel.

Le jardin possédait également dix beaux orangers, ramenés de Saint-Cloud ; la commission d’agriculture et des arts était chargée de leur entretien, les plaçant ainsi en serre quand venait la saison froide.

Le Comité de salut public se montrait satisfait des efforts déployés pour l’entretenir, à tel point qu’il décida, au printemps 1794, de dresser un immense programme d’embellissement de Paris, dans lequel les Tuileries auraient naturellement pris place. Il était arrêté le 5 floréal an II (24 avril 1794) : « Le citoyen David, député de la Convention nationale, conjointement avec l’inspecteur des bâtiments nationaux, le citoyen Hubert, s’occupera incessamment de la manière la plus convenable d’enceindre la salle des séances des représentants d’un peuple libre ». Puis, le 7 et le 9 : « …Pour finir en peu de temps les travaux projetés pour décorer et terminer tant l’enceinte de la Convention, le pont de la Révolution que le jardin National, les citoyens Granet et David, députés à la Convention, mettront en réquisition les artistes qu’ils croient nécessaires… ». Hubert présenta son rapport dès le 20, lequel fut accepté cinq jours plus tard. Les architectes Moreau, Bernard et Lannoy lui furent associés. Un travail considérable les attendait.

De nombreux projets furent médités au sein de ce nouveau Comité d’embellissement du palais et du jardin National, tandis que Fourcroy et David réfléchissaient à la manière de faire couler en bronze des monuments de la Liberté ; le 9 thermidor vint tout interrompre ; David fut mis en état d’arrestation, et Fourcroy et Granet renoncèrent à prolonger l’existence du Comité. Plusieurs programmes envisagés furent néanmoins réalisés, comme le transfert des chevaux de Coustou de Marly à Paris.

A peine quelques semaines après cet événement, le 20 prairial (8 juin), se déroula dans le jardin la grande et fameuse cérémonie en l’honneur de l’Etre suprême. La célébration d’une fête solennelle face au château des représentants du peuple devait constituer pour Robespierre, farouche ennemi de l’athéisme, une occasion de rendre hommage au dieu de la Nature.

Ce fut Hubert qui, le 26 floréal (15 mai), fut chargé d’en diriger l’exécution, la commission d’instruction publique devant prendre les mesures nécessaires. David en dressa le plan. Il fallut faire appel à des dizaines d’entrepreneurs ; sculpteurs, peintres, chaudronniers, cultivateurs, marbriers, jardiniers, conducteurs, papetiers, marchands, artificiers furent sollicités pour les accessoires indispensables, tels qu’instruments de musique ou d’agriculture, fleurs, rubans de papier ou fruits en carton. Un arrêté du Comité de salut public du 15 prairial (3 juin) autorisa la commission d’instruction publique à leur verser des acomptes. Ils exigèrent enfin, déduction faite de ces derniers, la somme de 62.917 livres.

Le 20 prairial fut battu le rappel général dès cinq heures du matin pour inviter les Parisiens à décorer leurs maisons et à se réunir aux chefs-lieux de leurs sections dans l’attente du signal de départ pour le jardin National. Les rues et les places furent bientôt remplies d’une foule nombreuse. Les hommes, non armés, accompagnaient leurs fils qui, placés en bataillons carrés autour des drapeaux sectionnaires, portaient fusils, sabres ou piques, ainsi qu’une branche de chêne. Les mères tenaient de grands bouquets de roses, les filles, des corbeilles remplies de fleurs. A huit heures fut tirée du Pont Neuf une salve d’artillerie. Les citoyens et citoyennes de chaque section se mirent alors en deux colonnes égales, hommes et garçons se plaçant sur la droite, femmes, filles et enfants de moins de huit ans, sur la gauche, et le bataillon carré des adolescents, au centre. La marche fut ordonnée par le commandant de la force armée de chaque section, secondé par les capitaines de compagnies.

Toute la partie est du jardin avait été embellie de multiples ornements, bustes, vases, guirlandes et drapeaux tricolores. Un grand amphithéâtre, décoré de vases et de statues, se dressait contre le pavillon de l’Unité, montant jusqu’au premier étage. Le balcon de la fenêtre de l’ancienne salle des Cent-Suisses avait été descellé pour assurer la communication avec la construction, au sommet de laquelle étaient disposés de nombreux sièges. Sur le devant se dressait un fauteuil sur un marchepied recouvert d’un tapis tricolore. Les portiques qui l’environnaient étaient ornés de guirlandes de verdure et de fleurs, dans lesquels s’entremêlaient des rubans aux trois couleurs. Dix vases de marbre blanc s’alignaient sur la balustrade des terrasses du premier étage du château.

Sur le bassin circulaire situé dans l’axe du pavillon de l’Unité s’élevait un mannequin figurant l’Athéisme, œuvre du citoyen Chaudet, enduit de souffre, de nitre et de poudre. Il était entouré des statues de l’Ambition, de l’Egoïsme, de la Discorde et de la Fausse Simplicité, ornées de symboles de la royauté, et sur le front desquelles étaient inscrits les mots : « Seul espoir de l’étranger ». Plus à l’écart se tenait un grand char drapé de rouge, tiré par huit taureaux aux cornes d’or, soutenant une statue de la Liberté assise dans l’ombre d’un chêne et accompagnée de divers instruments aratoires, parmi lesquels une charrue ornée d’une gerbe de blé. Elle était drapée à l’antique.