Le jardin national.

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Succédant à Roland en janvier 1793, et tandis que se poursuivait la construction de la salle des séances de l’Assemblée, le ministre Garat s’était quelque peu détourné du château pour se préoccuper de son jardin. Tout comme le Luxembourg, celui-ci était dans le plus pitoyable des états. Les journées du 20 juin et du 10 août 1792, auxquelles étaient venues s’ajouter la négligence et les mutilations, avaient sérieusement atteint le charme de l’œuvre de Le Nôtre. Les parterres étaient ravagés, les bassins abîmés, les bancs ruinés, les statues dégradées, les arbres endommagés. La municipalité avait la charge d’entretenir les promenades publiques, mais elle était trop occupée pour s’en soucier. L’heure était pourtant venue de réagir, à quelques mois de l’installation de la Convention dans le château.

Le 13 avril 1793 fut voté un décret visant à protéger les sculptures du jardin, une peine de deux ans de réclusion étant réservée aux mutilateurs. Le 24, tandis que le jardin devenait National, le ministre de l’Intérieur fut chargé de son entretien et de son embellissement à la place de la municipalité. Les dégradations se poursuivaient pourtant. Sergent vint les dénoncer à la tribune le 4 juillet. Il loua la beauté des statues, « ces monuments, dit-il, que nos descendants admireront comme nous admirons aujourd’hui les chefs-d’œuvre sortis des mains du peuple de Rome. » Il parvint surtout à persuader les députés de la nécessité de désigner une garde particulière pour leur conservation. Sa création fut aussitôt décrétée.

Il s’agissait d’une compagnie d’invalides dont l’organisation fut réglée par le Comité des inspecteurs. Sa tâche consistait, concurremment avec les gardes nationaux, à veiller sur les divers monuments tout en assurant la sécurité des promeneurs, sous la surveillance du comité et du ministère de l’Intérieur. Composée de cent vingt hommes, la garde fut divisée en trois sections et chaque section en trois escouades. Un capitaine, qui ne devait dépendre que de la Convention, en prit le commandement. Le 29 août, les gardes furent placés aux différentes portes des Tuileries : celles de la place de la Réunion, du pont National, de la cour du Manège, du passage des Feuillants, de l’Orangerie, du Pont-tournant et du pont de la Révolution, ainsi que devant les pavillons de l’Unité et de la Liberté. Ils devaient interdire le passage aux porteurs de paniers, de tables ou de paquets, aux mendiants et aux individus ne portant pas une cocarde tricolore au chapeau, et empêcher la dégradation des statues, des arbres, des bancs et des parterres, notamment en arrachant les affiches. L’ouverture des portes se faisait à six heures du matin pendant l’été, à sept heures pendant l’hiver. Les promeneurs devaient se retirer à onze heures du soir, ensuite suivis des invalides eux-mêmes. Seule la garde nationale devait veiller sur le château et le jardin pendant la nuit.

Quelques mois plus tard, le sergent de la compagnie fut renvoyé et plusieurs invalides donnèrent leur démission. Leur état quotidien d’ébriété les rendait incapables de remplir leur tâche convenablement.

Cependant commençaient les travaux d’entretien du jardin. Heurtier, inspecteur général des bâtiments de la République, ordonna au début du mois d’août la réparation des perchis entourant les parterres en broderies, et servant de garde-fous sur les terrasses. Les ouvrages de treillage se prolongeaient encore à la fin de 1794. Il fut d’autre part procédé au défonçage de quatre des quatorze carrés composant les parterres, tandis qu’était projeté le percement des fossés pour protéger les arbres bordant les contre-allées dans lesquelles circulaient des voitures, et le remplacement du buis par du gazon. Les guérites qui se dressaient à différents endroits, notamment de chaque côté du Pont-Tournant, furent réparées. Les arbres morts furent arrachés, et l’on planta cent dix marronniers d’Inde, vingt-quatre ormes, vingt tilleuls et un sycomore. Les parterres furent replantés avec de l’acacia de Sibérie, du jasmin à fleur jaune, du rosier à cent feuilles et de l’ébénier des Alpes nain. L’inspecteur général Hubert fut en outre chargé par le Comité de salut public d’élargir les entrées latérales du jardin, ainsi que celle du Pont-tournant, l’affluence étant toujours considérable.

Dupuis, le jardinier, réclama pour ces travaux multiples la somme de 9.138 livres, qui se fit d’ailleurs attendre pendant de longues semaines.

Si l’entretien et l’embellissement du jardin contribuaient à recréer le charme qu’il avait perdu dès la seconde moitié du XVIIIe siècle, ils ne recevaient pas l’approbation de tous les révolutionnaires. A l’heure où s’engageait la lutte contre la disette, notamment par le dessèchement des étangs et la mise en culture des terres en friche, ils pouvaient apparaître comme un luxe que s’offraient les représentants du peuple. Lors de la manifestation du 5 septembre 1793, le procureur de la Commune Chaumette se prononça à la tribune de l’Assemblée pour une exploitation utile du lieu : « Nous vous prions enfin de jeter vos regards sur l’immense jardin des Tuileries ; les yeux des républicains se reposeront avec plus de plaisir sur ce ci-devant domaine de la couronne, quand il produira des objets de première nécessité. Ne vaut-il pas mieux y faire croître des plantes dont manquent les hôpitaux que d’y laisser des statues, fleurs de lys en buis et autres objets, aliments de luxe et de l’orgueil des rois ? ». Son appel fut entendu. Cinq mois plus tard, le Comité de salut public ordonna au ministre de l’Intérieur de faire planter dans le jardin des carrés de pommes de terre. La commission d’agriculture et des arts fut chargée de leur récolte et de leur remplacement par du gazon en vendémiaire an III (octobre 1794). Les légumes furent mis à la disposition de l’agence des subsistances de Paris, qui les distribua aux comités de bienfaisance des sections destinées à les répartir gratuitement entre les indigents.