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Dans ce château gouverna donc la Convention pendant près de trente mois, confrontée à la disette, la guerre civile et l’invasion, et contrainte d’organiser la centralisation la plus extrême. La France entière fut bientôt dirigée depuis cet espace de quelques centaines de mètres séparant le pavillon de la Liberté et celui de l’Egalité. Cela n’eut pas de faibles conséquences sur le rythme de travail des sept cent cinquante représentants du peuple. L’Assemblée siégeait chaque jour, même le dimanche. La séance commençait le matin vers dix heures et se terminait aux environs de six heures du soir. Les députés allaient ensuite se restaurer, puis la séance reprenait vers huit heures et pouvait se prolonger fort tard. Les débats étaient souvent des plus épuisants. Les votes, les longues discussions, la lecture des rapports, des pétitions, de la correspondance engendraient une grande tension nerveuse chez la plupart des conventionnels. « On a jamais vu, déclara un jour Desmoulins, aucun peuple condamner les législateurs à faire des lois comme un cheval aveugle à tourner la meule jour et nuit. » Certains n’hésitaient d’ailleurs pas à oublier certaines règles de la convenance pour être plus à l’aise, mais également par idéal républicain. Chabot siégeait toujours coiffé du bonnet rouge, la chemise largement ouverte découvrant sa poitrine velue. Marat gardait la tête enveloppée dans un mouchoir crasseux, ses ongles longs et sales grattant régulièrement sa peau malade. Mais la plupart des députés, anciens hommes de loi dans leur majorité, préféraient conserver leurs costumes bourgeois. Robespierre était constamment d’une élégante propreté. Toutefois, ils reçurent tous en prairial an II (juin 1794) un costume semblable à celui des représentants en mission, comprenant notamment l’écharpe tricolore et le panache de plumes sur le chapeau. Les austères débats de l’Assemblée étaient parfois interrompus par l’arrivée de députations populaires venues la féliciter ou lui lire des pétitions. Les tambours et divers instruments de musique qui les accompagnaient ajoutaient quelque enthousiasme dans l’imposant local de Gisors. Le 14 juillet 1793, le conseil de la Commune et les représentants des sections parisiennes se présentèrent à la barre, escortés de musiciens de la garde nationale qui exécutèrent plusieurs morceaux patriotiques tandis que trois artistes interprétaient le Chant du 14 juillet. Un vieillard vint quelques jours plus tard chanter quelques couplets sur la nouvelle Constitution, que l’Assemblée fit imprimer. Mais tous n’appréciaient pas ces pittoresques interludes ; Danton les dénonça à ses collègues : « La salle et la barre de la Convention sont destinées à recevoir l’émission solennelle et sérieuse du vœu des citoyens : nul ne peut se permettre de les changer en tréteaux… Je pense… qu’ici, nous devons froidement, avec calme et dignité, nous entretenir des grands intérêts de la Patrie. » Les auditions se firent dès lors plus rares. Seuls le Conservatoire et l’Institut national de musique purent continuer à exécuter des hymnes révolutionnaires dans la salle des séances. Les discours de certains députés étaient en revanche très appréciés. La plupart d’entre eux, comme Brissot, Pétion ou Saint-Just, devaient écrire leurs textes avant de les lire à la tribune. D’autres, comme Robespierre, n’hésitaient pas à ne dresser qu’un plan sur le brouillon avant de se lancer dans d’étonnantes improvisations. Vergniaud, peut-être le plus grand de tous, apprenait d’abord par cœur et étudiait ses gestes, puis s’aidait à la tribune à l’aide de petits papiers numérotés disposés sur la tablette, sur lesquels étaient inscrits ses arguments. Ses interventions mobilisaient l’attention de l’Assemblée tout entière, comme le dit le député Harmand : « L’attente était universelle. Tous les partis écoutaient, et les causeurs les plus intrépides étaient forcés de céder à l’ascendant magique de sa voix ». Barère était également l’un de ces grands orateurs. « Lorsque, dit Prieur (de la Côte d’Or), après de longues heures de débats animés, qui nous tenaient souvent une partie de la nuit, nos esprits fatigués ne pouvaient plus qu’avec peine se rappeler les circuits que la discussion avait parcourus, et perdaient de vue le point principal, Barère, doué d’une mémoire merveilleuse, prenait la parole. A la suite d’un résumé rapide et lumineux, il rassemblait en un faisceau tous les arguments, posait nettement la question, et nous n’avions plus qu’un mot à dire pour la résoudre. » Si le travail d’un député ordinaire était épuisant, celui d’un membre du Comité de salut public l’était bien davantage. Placé au centre de l’exécution, concentrant l’autorité gouvernementale, le comité, restant toutefois étroitement subordonné à l’Assemblée, imposaient aux quelques conventionnels qui le composaient une besogne harassante. Trois groupes s’y distinguaient. Celui des « gens révolutionnaires » était composé de Barère, chargé des rapports à la Convention, de Billaud-Varenne et de Collot-d’Herbois, à qui revenaient la direction des représentants envoyés en mission et la correspondance avec les autorités gouvernementales. Celui des « gens de la haute main » comprenait Robespierre, Saint-Just et Couthon, occupés de police, de législation et de politique générale. Enfin, celui des « gens d’examen » rassemblait Carnot, responsable de la direction des armées , Prieur (de la Côte d’Or), chargé de la fabrication des armes et des munitions, Prieur (de la marne) et Lindet, dirigeant des subsistances, l’habillement et les transports. Jean Bon Saint-André et Hérault de Séchelles, plus effacé, complétaient le personnel, qui se transforma après le 9 thermidor. Bien que fondamentalement unis dans la lutte, les commissaires se spécialisaient donc. Certains possédaient même leurs salons particuliers. Carnot s’était constitué un cabinet topographique où il réunissait les meilleurs dessinateurs. Robespierre, Couthon et Saint-Just se retrouvaient parfois dans un bureau leur étant réservé, que les autres commissaires appelaient ironiquement le « sanhédrin », où parvenaient les documents les plus importants. L’activité déployée par ces hommes était exceptionnelle. Le matin arrivait au secrétariat une masse considérable de correspondance, composée de pétitions, de projets, de lettres de généraux et de bien d’autres documents. Les affaires, enregistrées, étaient ensuite réparties dans les différentes sections de la Guerre, de la Marine, des Contributions, des Affaires étrangères, de l’Intérieur et de le Justice, des commissaires en dirigeant certaines. Dès sept heures arrivaient les premiers d’entre eux par l’escalier du pavillon de l’Egalité, pour lire notamment les dépêches des armées. A dix heures s’entamait une discussion commune sur les affaires les plus pressantes, la totalité d’entre elles atteignant le nombre de six cents par jour. Lorsque la lettre d’un générale annonçait une victoire, Barère s’en saisissait pour la lire à la tribune de l’Assemblée au milieu des acclamations. Il n’y avait jamais d’ordre du jour ni de procès-verbal des séances. On prenait ensuite les décisions, l’un des membres rédigeant l’arrêté dont la minute, après qu’il ait été corrigé, devait être signée par au moins trois commissaires. Le texte était recopié sur un papier portant l’entête « Extrait des registres du Comité », puis remis à l’un des deux secrétaires de confiance. Les noms de tous les membres présents étaient inscrits au bas de la copie avec la mention « Signé au registre », et deux d’entre eux apposaient leur signature. |
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