Sous la Terreur.

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Nouvelle demeure de la représentation nationale, le château fut désormais soumis à un strict règlement, dont le Comité des inspecteurs de la salle, du secrétariat et de l’imprimerie de la Convention nationale devint le rouage essentiel. A ses membres revenait surtout la tâche d’assurer le maintien de l’ordre et la police de la salle, mais également le paiement des indemnités des députés, le traitement des nombreux employés ou les fournitures diverses pour le service de l’Assemblée ou de ses comités. Chaque semaine était nommé l’un d’eux pour s’assurer de l’ordre général et du bon fonctionnement de la consigne.

Des gardes nationaux étaient placés à toutes les portes du château, sur lesquelles étaient peints des boucliers portant l’inscription « République française ». D’autres factionnaires gardaient les différentes issues du jardin, ainsi que des portiers. Ils ne devaient y laisser pénétrer aucun porteur de paquets, tables, paniers ou autres objets volumineux, et ne laisser en sortir que les personnes munies de cartes ou de laissez-passer. Les individus surpris en situation irrégulière étaient conduits au corps de garde du château ou, dans les cas graves, au Comité des inspecteurs.

Des huissiers assuraient les services matériels à l’intérieur du château. Dans la salle des séances de l’Assemblée, leurs postes étaient situés auprès du président, au bas de la tribune, de chaque côté de la barre et aux deux issues principales. D’autres circulaient dans les couloirs et les différents salons. Leur costume se composait d’un habit en frac croisé orné d’un collet de drap blanc, d’un gilet de drap chamois, d’une culotte bleue, d’une ceinture tricolore, d’une médaille suspendue à la boutonnière, d’une coiffure en catogan, d’un chapeau haut-de-forme ceint d’un ruban tricolore et d’une canne en ébène garnie de motifs en ivoire. Le chapeau fut plus tard relevé au devant et orné d’une cocarde surmontée d’un panache de plumes tricolores, puis une seule plume subsista finalement. Les garçons de salle, eux, composés de balayeurs, d’allumeurs de réverbères ou de porteurs de bois, se chargeaient de l’entretien du château. Ils détenaient également les clés de la salle des séances.

Les gardes devaient par ailleurs s’assurer à chaque relève qu’aucun rassemblement ne se formait dans les couloirs.

L’entrée du château et de la salle des séances était étroitement surveillée, la consigne devenant progressivement de plus en plus rigoureuse. Elle était refusée à tout individu ne portant pas une cocarde ou un ruban aux couleurs nationales. Les députés et les secrétaires-commis, montrant leurs cartes, pouvaient seuls pénétrer dans le local de l’Assemblée. Le peuple se rendant aux tribunes latérales ou aux loges des journalistes n’avait, en revanche, aucune carte à exhiber, de même que les personnes qui désiraient parler aux représentants. Celles-ci se rendaient simplement dans le salon des Députations où elles demandaient aux huissiers d’appeler les députés qu’elles voulaient voir. Le dimanche était le seul jour où elles avaient la possibilité de présenter leurs pétitions à la barre même de l’Assemblée.

De multiples abus furent d’ailleurs commis par le peuple de par sa liberté d’entrer dans le château. Une foule de particuliers parvint régulièrement à se procurer des cartes de secrétaires et même de députés pour pouvoir pénétrer dans la salle des séances. D’autres envahirent un jour la tribune des suppléants. Il fallut prendre des mesures, parmi lesquelles le fréquent renouvellement des cartes. Ordre fut donné au graveur de la Convention d’en dessiner de nouveaux modèles à de nombreuses reprises, notamment en septembre 1793, prairial an II (juin 1794) et nivôse an III (décembre). En outre, les étrangers ne purent plus pénétrer dans les tribunes publiques que par décret spécial. Aucun individu autorisé par les huissiers à entrer dans la salle des séances ne put désormais le faire sans ordre du président de l’Assemblée. Des gardes furent placés aux portes des loges destinées aux journalistes afin que le peuple ne puisse s’y infiltrer. Enfin, les occupants des tribunes durent exhiber leurs certificats de civisme.

Tricoteuses et sans-culottes constituaient l’essentiel du public, manifestant souvent leurs divers sentiments à l’égard de leurs représentants. Les Girondins étaient naturellement les plus impopulaires. « Il n’y avait là, dit un jour l’un d’eux en parlant de l’assistance, que des hommes dont l’aspect effroyable figurait le crime et la misère, des femmes dont la mine éhontée respirait la plus sale débauche. » Les séances devenaient un véritable spectacle, et nombre de citoyens s’installaient en pleine nuit aux portes du château pour être sûrs d’avoir des places dans les tribunes dès leur ouverture.

Cette foule de députés, d’hommes du peuple, de huissiers, de garçons, de sentinelles et d’employés divers, par ses incessants mouvements, contribuait à faire du château le théâtre de la plus intense animation. Il en était de même pour les innombrables boutiques implantées tant au-dehors qu’au dedans.

Un mois avant l’installation de la Convention aux Tuileries, l’architecte Gisors s’était déjà heurté à la présence inopportune de dizaines de marchands dans les pavillons destinés aux comités de l’Assemblée. C’était là que merciers, libraires, serruriers, culottiers et marchands d’estampes avaient établi leurs échoppes dans l’attente de leurs nouveaux clients. Le Comité des inspecteurs avait dû ordonner leur démolition. Les demandes de logements et de boutiques n’avaient pourtant cessé d’affluer chez le ministre Garat. Le 1er février 1793, un employé de bureau des procès-verbaux demandait un logement au château, qui lui fut refusé car seuls les artistes et les savants pouvaient encore s’y établir. Le 31 mars, le citoyen Ledo demandait au ministre l’autorisation de dresser dans le jardin un petit cabinet littéraire composé d’une table ronde recouverte d’une simple toile, pour offrir au public la lecture des journaux patriotes. Deux mois plus tard, une citoyenne s’emparait d’un petit corps de garde situé à l’extrémité du jardin et ayant servi de logement au dauphin, tandis que, par ailleurs, un citoyen installait près du bassin une machine hydraulique de son invention pour éblouir les députés. Au mois de juin, dix-neuf échoppes et trois étalages étaient déjà installés le long de la terrasse des Feuillants.

Les boutiques se dressaient également à l’intérieur même des salles et des couloirs du château. La citoyenne Lesclapart vendait rapports, journaux, brochures, arrêts des comités et listes de suspects au pied de l’escalier du pavillon de l’Unité. La citoyenne Banguillon tenait une mercerie dans le même vestibule, la femme de l’huissier Poiré, un bureau de tabac. Les limonadiers accaparaient la clientèle la plus nombreuse. Le citoyen Brou avait dressé son restaurant sur la place de la Réunion. On vendait des rafraîchissements dans le salon des députations. Le brouhaha ne s’apaisait quelques instants qu’au passage des conventionnels les plus influents.

A ces pittoresques personnages venaient parfois s’ajouter des citoyennes aux mœurs les plus douteuses. L’agent secret du ministre de l’Intérieur Prévost s’en plaignit vigoureusement : « Le palais National, ci-devant des Tuileries, est rempli de filles publiques et du plus mauvais ton. Elles sont accompagnées par des volontaires blessés ; elles tiennent les propos les plus indécents. Il serait très à propos de les en chasser ou de les arrêter. Cette mesure est d’autant plus nécessaire qu’elle volent le soir les particuliers qui sont assez faibles pour les approcher, pour entretenir ces mêmes volontaires. De plus, elles souillent un local consacré aux représentants du peuple ; elles vont même jusque dans les tribunes du sanctuaire des Lois ». Bon nombre d’agioteurs venaient également se répandre dans les lieux. Il fut ordonné aux boutiquiers de les dénoncer aux factionnaires, sous peine d’être expulsés.