Tandis que les ouvriers menaient patiemment les travaux, le château
continuait d’être inspecté par des officiers municipaux,
les autorités pensant y découvrir peut-être des
papiers compromettants pour la famille royale, emprisonnée depuis
presque trois mois. Il fut ordonné de fouiller les latrines du
château, Marat ayant révélé que Marie-Antoinette
s’était débarrassée de sa correspondance
dans la nuit du 9 au 10 août. De malheureux vidangeurs durent
s’y plonger pour récupérer les morceaux de papier,
ensuite trempés avec des pinces dans les baquets de vinaigre
pour pouvoir être examinés. D’autres dénonciations
parvinrent encore à l’Assemblée ; dès le
19 août, le citoyen peintre Bougneux signalait la présence
dans le château de nombreuses armoires murées et masquées,
en réclamant que des perquisitions y soient menées sans
délai.
Le coup de théâtre survint le 18 novembre, lorsque Gamain,
le serrurier de Louis XVI, révéla l’existence
au château d’une « armoire de fer » construite
par lui plusieurs mois auparavant, et contenant des documents suspects.
L’inspecteur général des bâtiments prévint
aussitôt le ministre Roland, et les trois hommes se rendirent
sur les lieux deux jours plus tard. Située au premier étage,
dans le petit couloir reliant la chambre du roi à celle de
son fils, l’« armoire » n’était
en vérité
qu’une porte de fer de 50 centimètres carré environ,
fermant à clé, située à 1,32 mètre
au-dessus du parquet, et masquée derrière la boiserie
dont l’ouverture était dissimulée dans les rainures
sombres formant la partie ombrée de fausses pierre peintes
sur le mur. La porte masquait elle-même une cavité informe
et raboteuse, de 66 centimètres de profondeur et 40,5 de
diamètre
à son entrée, qui diminuait progressivement.
C’était donc dans cette cachette que le roi avait placé
ses documents. La reine, craignant qu’ils ne soient découverts
un jour, avait obtenu de son époux que les plus importants soient
rangés dans un portefeuille séparé. Madame Campan
l’ayant ensuite interrogée sur ce qu’ils représentaient,
Marie-Antoinette lui avait répondu : « Ce sont des pièces
qui seraient les plus funestes pour le roi, si on allait jusqu’à
lui faire son procès ».
Roland s’empara des papiers contenus dans l’ « armoire
», les empaqueta en présence de Gamain et Heurtier pour
les déposer ensuite dans la salle du Manège. Le 1er décembre,
le serrurier fit la déclaration suivante : « Je soussigné…
déclare que dans le courant d’avril de ladit anné,
j’ai été chargé, avec mistère, par
Louis saize de pratiqué une ouverture dans l’épaisseur
du mur de face des Thuilleries qui regarde le couchant au passage de
la chambre à caucher, que j’ai été chargé
en outre de recouvrir cette ouverture par une tolle des fere forte fermé
avec une serrure de sûreté, que je n’ai jamais su
pour quel usage cette ouverture a été pratiquée,
mais simplement que cette ouverture pouvait contenir des pièces
importantes au salut de la République… (sic) ».
La découverte de l’Armoire de fer allait peser lourdement
dans le procès du roi.
La construction de la salle de la Convention et l’aménagement
des autres appartements du château pour l’installation de
ses bureaux et comités durèrent six mois, non sans que
les plans de Gisors ne subissent plusieurs critiques. Le 22 janvier
1793, Roland quitta son poste de ministre de l’Intérieur
et fut remplacé par Garat. Ce fut l’occasion pour les adversaires
de l’architecte de remettre son projet en cause, en dénonçant
notamment le prix élevé de la main d’œuvre.
Mais ce fut surtout Vignon qui réapparut soudain pour se déchaîner
contre son adversaire. Il commença par faire graver son vieux
projet, puis adressa au président de l’Assemblée,
Dubois-Crancé, la lettre suivante, le 1er mars : « La religion
de la Convention nationale a été surprise ; la fortune
publique a été dilapidée ; mes talents, ma réputation,
mon honneur ont été compromis par l’ex-ministre
Roland, et si la responsabilité des ministres n’est pas
illusoire, le temps est arrivé de l’exercer dans toute
sa rigueur. C’est principalement sur l’architecte Gisors
que doit porter tout le poids de la justice nationale, car il a trompé
la Convention : primo, en n’exécutant pas les plans qu’il
a présenté et qui ont été décrétés
; 2° en augmentant considérablement les dépenses tant
par son ignorance que par sa mauvaise foi ; 3° en privant journellement
cinq cent citoyens d’assister aux séances de la Convention
; enfin en vous promettant la salle pour le 1er novembre dernier…
».
Ce fut dans une brochure intitulée Sur la nouvelle salle
dans le palais des Tuileries que Vignon développa ses
arguments. Il y prouva que son rival, au lieu d’appuyer sur
les plans adoptés
par l’Assemblée le 25 octobre 1792, s’était
au contraire largement inspiré du projet que lui, Vignon, avait
élaboré. Gisors avait en effet enlevé le plancher
de la salle des séances, non plus à 1,65 mètre
au-dessus de la cour, mais au niveau de l’entresol, de plain-pied
avec la sacristie attenante à l’ancienne chapelle ;
il avait destiné le grand escalier du pavillon central,
non plus au peuple comme il l’avait prévu, mais à ses
représentants
; il avait fait précéder la salle par une série
de pièces dont la disposition n’avait rien à voir
avec celle qu’il avait d’abord envisagée. Il avait
toutefois conservé plusieurs de ses premières idées,
comme la division en deux salons du pavillon du Théâtre.
En revanche, il avait dû diminuer le nombre de banquettes
dans les tribunes populaires, celles-ci ne pouvant plus contenir
que mille
trois cents personnes au lieu de mille six cents soixante-dix. Il avait
enfin formulé des demandes pour que soient mis à disposition
plusieurs centaines de milliers de livres supplémentaires.
Vignon critiqua enfin le danger présenté par
cette salle où
la toile et le bois avaient été largement utilisés.
La brusque réapparition de l’architecte n’eut pourtant
aucune conséquence sur l’évolution des travaux.
Le 26 mars, la Convention décréta l’évacuation
de tous les meubles et papiers inutiles et leur répartition dans
les hôtels Crussot et Coigny, rue Saint-Nicaise, pour préparer
l’établissement des comités, bureaux et archives.
A cette époque, plusieurs d’entre eux siégeaient
déjà dans le château, comme le Comité de
défense générale qui se trouvait dans l’ancienne
chambre du Conseil, où il était très à l’étroit.
Le château fut par ailleurs débaptisé, comme tant
de rues ou de places de Paris l’avaient déjà été.
Le 24 avril, il devint le palais National, et ses pavillons de Flore,
du centre et de Marsan, ceux de l’Egalité, de l’Unité
et de la Liberté. Quinze jours plus tard fut placé sur
le dôme central un immense bonnet phrygien en serge rouge, bleue
et blanche, de 2 mètres de hauteur et près de 3 mètres
de circonférence, ajusté sur une carcasse de fer et surmonté
d’une flamme tricolore de 11 mètres de long. Ce furent
ensuite les pavillons des extrémités qui reçurent
des oriflammes de dimensions plus restreintes.
Dans ce souci de faire du palais National le nouveau temple de la République,
il fallut également donner la chasse aux multiples symboles de
l’ancienne monarchie qui en ornaient les murs. « Nous vous
prévenons, écrivait dès le 22 décembre 1792
le Comité des pétitions aux inspecteurs de la salle, que
le lieu des séances du comité… est tapissé
en un papier fleurdelysé, sur lequel se trouve écrit le
mot roi. Nous vous prions de donner des ordres pour que ce papier soit
enlevé et remplacé par un autre qui n’offense pas
nos regards ». De pareilles plaintes se succédèrent
pendant longtemps. Plus de six mois plus tard, le département
des travaux publics de la Commune pouvait écrire au ministre
de l’Intérieur : « Nous sommes informés qu’il
existe encore des attributs de la féodalité à l’extérieur
du palais National, notamment au pavillon de l’Unité où
l’on remarque des couronnes, ainsi que des fleurs de lys et blasons
royaux sur quelques cheminées et colonnes. Nous avons cru devoir
vous en prévenir ».
Le 10 mai 1793, la Convention quittait enfin la salle du Manège
pour se transporter dans son nouveau local des Tuileries. Elle allait
y siéger pendant près de deux ans et demi.