Le 10 Août.
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La famille royale reçut la visite des autorités. Le 9 à dix heures du soir arriva le maire Pétion accompagné de plusieurs de ses collègues. Après avoir parcouru les divers postes du château, il se rendit dans la salle du conseil dont les abords étaient gardés par de nombreux gentilshommes et plusieurs officiers de la garde nationale et de la garde suisse. Il y trouva le roi entouré de sa famille, en discussion avec le procureur-syndic du département de Paris, Roederer, qui venait également d’arriver. « Il paraît qu’il y a beaucoup de mouvement ? demanda le roi.— Oui, dit Pétion, la fermentation est grande. » Mandat, qui se trouvait là, répliqua : « C’est égal, je réponds de tout. Mes mesures sont bien prises ». Puis, après que le roi ait remercié le maire, celui-ci s’entretint dans les cours avec les commandants, et se promena dans le jardin avant d’être mandé par l’Assemblée.

Les soldats, quant à eux, ne prenaient aucune initiative. Les heures passaient, les patriotes allaient bientôt surgir, et les querelles minaient la défense. D’Hervilly confia son inquiétude à Madame de Tourzel : « J’ai la plus mauvaise opinion de cette journée. Ce qu’il y a de pis en pareil cas est de ne prendre aucun parti, et l’on ne se décide à rien ». Dans cette position de plus en plus incertaine, de nombreux gentilshommes se préoccupaient du destin de la famille royale. Le comte d’Haussonville vint ainsi, vers quatre heures du matin, conjurer le roi d’accepter de fuir avec sa famille vers Rambouillet. Louis XVI se souvenait trop bien de l’aventure de l’année précédente ; il imposa silence au comte et lui ordonna de se retirer.

Mais les événements se précipitèrent avec l’aurore. Mandat fut soudain convoqué par la Commune insurrectionnelle qui s’était substituée à la municipalité légale. Les patriotes qui la composaient lui reprochèrent le renforcement de la garde des Tuileries, le destituèrent et nommèrent Santerre à sa place. Le malheureux fut assassiné en sortant de l’Hôtel de ville. Ainsi changeait brusquement de mains le commandement de la garde nationale. Ce fut La Chesnaye qui eut dès lors la charge de diriger la défense du château. Suisses et gardes nationaux furent invités à rejoindre leurs postes et à ne plus les quitter ; appartements, galeries, vestibules et escaliers se garnirent aussitôt de soldats. Le roi se détermina quant à lui à se montrer au-dehors. Vers cinq heures, il parut au balcon du premier étage aux acclamations des grenadiers, qui crièrent « Vive le roi » en brandissant leurs chapeaux au bout de leurs sabres. Puis, accompagné des maréchaux de camp Boissieu et Menou, des officiers de la garde suisse Bachmann et Maillardoz, de l ‘ancien ministre de la guerre Lajard, du prince de Poix , d’Iriges et de Sainte-Croix, il descendit le grand escalier du château et gagna la cour Royale tandis que les tambours battaient au champ, tenant son chapeau sous le bras et coiffant sa perruque en désordre. Puis il passa les troupes en revue, toujours ovationné par les grenadiers. Mais un incident représentatif de la division de la défense éclata lorsqu’il croisa les canonniers du Val-de-Grâce. Le capitaine Langlade fit brusquement tourner l’une de ses pièces vers la façade du château, leva son chapeau et cria « Vive la nation » en même temps que ses hommes. Les grenadiers royalistes protestèrent aussitôt mais ne purent empêcher plusieurs canonniers de quitter la cour Royale pour rejoindre la place du Carrousel où arrivaient les premiers patriotes. Le roi passa ensuite dans le jardin, où des insurgés avaient déjà fait irruption, le parcourut jusqu’à Pont-Tournant, revint par la terrasse des Feuillants et salua le bataillon des Filles-Saint-Thomas près du pavillon de Marsan. Il se rendit ensuite dans la salle du Conseil où il fit venir plusieurs gardes nationaux, et se retira avec sa famille.

Enfin, Roederer gagna la cour Royale pour y haranguer les bataillons : « Soldats, un attroupement va se présenter. Il est enjoint par le décret du 3 octobre, à nous officiers de la loi, de requérir vous, gardes nationales, et vous, troupes de ligne, de vous opposer à cet attroupement, et de repousser la force par la force. » Fusils et canons furent aussitôt chargés. Puis le procureur-syndic se retira après avoir donné sa dernière recommandation : « Point d’attaque, bonne contenance, forte défensive ».

C’était peu après six heures, alors que le roi passait les troupes en revue, que l’on avait soudain vu arriver, par les guichets de la galerie du Bord de l’eau, les bataillons de la rive gauche mêlés aux fédérés de Marseille et de Brest. Le bataillon Henri-IV qui gardait le Pont Neuf avait en effet fini par s’incliner devant la colonne qui s’était gonflée en cours de route. Quant à la gendarmerie à cheval de la place du Louvre, son insubordination avait poussé ses officiers, qui craignait qu’elle ne se joignit aux patriotes, à la faire retirer. La colonne n’avait donc eu aucun mal à gagner les guichets. Toutefois, Santerre ayant pris du retard, la jonction des forces de la rive gauche avec celles de la rive droite n’avait pu s’opérer.

Précédée de plusieurs pièces de canon, la colonne envahit la place du Carrousel et se mit en bataille. De nombreux insurgés se placèrent sur les hauteurs tandis que l’on déployait l’artillerie. Du côté du jardin, d’autres patriotes forcèrent la porte du Manège et prirent possession de la terrasse des Feuillants où ils installèrent leurs canons. Pourtant, les fédérés semblaient indisposés à la vue des défenseurs du château, suisses, canonniers et gendarmes à cheval, et par le fait qu’aucun chef n’était présent pour les diriger. Alexandre s’était en effet rendu à l’Hôtel de ville pour y prendre des ordres, laissant ses troupes sans commandement général, et la colonne de Santerre n’était toujours pas arrivée. Les chefs de bataillon ne parvinrent pas à se mettre d’accord pour nommer un commandant, et les insurgés restèrent sur place sans savoir quel parti adopter. Une vingtaine d’entre eux se mit à califourchon sur le mur de la cour Royale pour pouvoir surveiller ce qui s’y organisait. Un peloton de suisses dut même quitter son poste du vestibule pour aller repousser, baïonnettes en avant, plusieurs poissardes qui tentaient d’y pénétrer.