Le 10 Août.

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L’hostilité des patriotes à l’égard de la famille royale se révéla nettement au cours du mois de juillet 1792. le 14, le roi et son entourage se rendirent à la fête de la Fédération, à laquelle participèrent les fédérés patriotes de province, où seul Pétion fut acclamé. Les incidents se multiplièrent aux abords des Tuileries à la fin du mois. Un jour que la reine revenait du jardin du dauphin en suivant la terrasse du Bord de l’eau, des fédérés cheminant sur le quai l’aperçurent et entonnèrent une chanson patriotique. Marie-Antoinette préféra dès lors quitter son appartement du rez-de-chaussée pour s’installer au premier étage. L’agitation populaire augmenta de jour en jour, nourrie par la peur de voir bientôt Paris forcé par l’armée des émigrés. Le bruit courut que la château renfermait des caisses contenant des fusils, des munitions et des cocardes blanches, et la municipalité en fut informée ; le député Fauchet reprit la dénonciation dans la salle du Manège le 25 juillet : « L’Assemblée nationale ne doit pas être sous un arsenal aussi voisin d’elle. Je demande que la lisière qui l’avoisine soit sous sa police immédiate. » Il fut aussitôt décrété que la terrasse des Feuillants ferait désormais partie de l’enceinte extérieure de la salle. Le peuple eut désormais libre accès à la terrasse, dont un long ruban tricolore fixa les limites. On l’appela « terre nationale » tandis que le jardin du château devenait : « terre de Coblence », territoire de la contre-révolution où nul patriote ne devait pénétrer.

L’agitation finit par gagner l’agitation du château. Le 5 août, tandis que la famille royale se rendait dans la galerie de Diane pour entendre la messe, une partie de la garde s’écria : « Vive le roi », tandis que l’autre répliquait : « A bas le veto ! ». Le tumulte fut extrême pendant toute la durée de l’office.

Le tristement célèbre manifeste signé du duc de Brunswick, connu des Parisiens quatre jours plus tôt, et qui menaçait la ville d’une répression sanglante, mit le comble à l’excitation populaire. Quarante-sept sections sur les quarante-huit exigèrent la déchéance du roi que l’Assemblée n’osa prononcer. L’initiative appartenait désormais aux sans-culottes et aux fédérés de province. Une attaque du château devenait inévitable.

Pétion vint, le 6 août, s’entretenir avec le roi de la situation. Malgré sa promesse de faire tout ce qui serait en son pouvoir pour défendre efficacement le château, il ne put cacher l’imminence du danger. Il fut décidé de renforcer la garde des Tuileries.

Deux jours tard fut expédié à la caserne de Courbevoie, signé de Mandat, commandant de la garde nationale depuis la démission de La Fayette, l’ordre de faire venir au château le régiment des gardes suisses qui s’y trouvait. On ne put donner à chaque soldat plus de trente cartouches. Commandés par le lieutenant-colonel Maillardoz, assisté des majors Bachmann et Zimmermann, les Suisses arrivèrent aux Tuileries dans la nuit, au nombre d’environ neuf cent cinquante, et furent installés dans les écuries de l’hôtel Brionne le lendemain matin. Il leur fut donné à manger et à boire. Puis, à onze heures et demi du soir, ils prirent leurs postes au château, occupant surtout les escaliers.

Pour renforcer la garde nationale, Mandat fit appel à seize bataillons dès le 5 août, mais seuls un peu plus de deux mille hommes consentirent à participer à la défense du château. En outre, si les bataillons des Petits-Pères et des Filles-Saint-Thomas manifestèrent en arrivant leur dévouement à la cause royale, il n’en fut pas de même pour la plupart des autres, notamment pour celui des canonniers du Val-de-Grâce qui, commandés par le capitaine Langlade, semblaient prêts à tout instant à passer du côté de la Révolution. Les gardes furent répartis pendant la nuit du 9 au 10 août dans les différents postes ; le bataillon des Filles-Saint-Thomas fut ainsi placé près du pavillon de Marsan, des grenadiers nationaux, au premier étage de la galerie du Bord de l’eau, sur deux rangs, l’un tourné vers la Seine et l’autre vers la cour des Princes, et les canonniers, dans les trois cours. On disposa cinq pièces de canon dans la cour Royale, entre la porte et l’entrée du vestibule, encadrées d’un bataillon de gardes nationaux d’un côté et d’un bataillon de gardes Suisses de l’autre. Un même nombre de pièces fut placé devant le pavillon central du côté du jardin. Enfin, des gardes nationaux furent placés au Pont Neuf et sous l’arcade Saint-Jean, place de Grève.

Mandat fit également appel à la gendarmerie, composée d’environ neuf cent cavaliers et de quelques dizaines d’hommes à pieds. On la destina à la défense des abords du château. Cent hommes furent placés sur le quai d’Orsay et à l’extrémité du pont Royal, soixante sur la place du Palais Royal, cent en réserve sur l’Hôtel de ville, cinq cent quatre-vingt devant la colonnade du Louvre, et le reste sur la place du Carrousel.

A ces quatre mille hommes composant les troupes régulières vinrent s’ajouter pendant la nuit quelque deux cents gentilshommes, anciens gardes du corps pour la plupart, qui se postèrent dans la galerie de Diane. Certains étaient habillés en Suisses ou en gardes nationaux. Leur armement était des plus sommaires et, quoique sincères, ils gênaient la défense au lieu de la renforcer.

D’une façon générale, celle-ci faisait d’ailleurs défaut. Bien que les effectifs aient été suffisants pour repousser une attaque, voire pour l’écraser, les pièces du canon n’étaient pas assez nombreuses et le quartier du Carrousel offrait à d’éventuels assaillants la possibilité de s’approcher à couvert du château grâce à ses rues et ses passages, multiples et étroits. Mais ce furent surtout les fréquents malentendus qui éclatèrent entre les défenseurs qui vinrent tout compromettre. Ainsi, les canonniers du Val-de-Grâce, qui ne cachaient pas leurs sentiments républicains, menacèrent de faire défection au moment où les patriotes passeraient à l’attaque ; les grenadiers royalistes des Filles-Saint-Thomas leur répliquèrent qu’ils n’hésiteraient pas à les pousser à faire feu en usant de la force de leurs baïonnettes. Le 10 août, à quatre heures du matin, éclata une nouvelle querelle, cette fois entre l’adjudant général Doucet et le capitaine Langlade au sujet de la position des pièces de canon, que Langlade jugeait trop proches de la porte Royale et qu’il fit reculer au grand dam de l’adjudant.

De telles disputes étaient fort préjudiciables à la défense du château. Les sections parisiennes, de leur côté, activaient les préparatifs de l’attaque, particulièrement celle des Quinze-Vingt qui, le 9 août au soir, concentrait peu à peu les forces insurrectionnelles et annonçait vers dix heures que trente sections étaient prêtes à marcher sur les Tuileries. Le tocsin qui se mit à sonner à minuit depuis le faubourg Saint-Antoine jusqu’à la demeure royale prévint les défenseurs de cette dernière que le mouvement populaire était désormais irréversible.

Le plan des patriotes était d’ailleurs prêt depuis plusieurs heures. A la tête des bataillons du faubourg Saint-Marceau réunis à ces deux fédérés brestois et marseillais, Alexandre devait, après avoir remonté la rue Dauphine, traverser le Pont Neuf et rejoindre, sur la rive droite, les forces du faubourg Saint-Antoine dirigées par Santerre, pour marcher ensuite sur le Carrousel. Les défenseurs du château avaient également mis leur projet au point. Le bataillon des gardes nationaux placé sous l’arcade Saint-Jean devait laisser passer la colonne arrivant du faubourg Saint-Antoine, pour la charger ensuite par derrière. Le bataillon Henri-IV devait empêcher les troupes d’Alexandre venues de la rive gauche de traverser le Pont Neuf pour opérer leur jonction avec celles de Santerre. Puis, une fois la colonne suffisamment engagée sur le quai de la galerie du Bord de l’eau, les gendarmes à cheval massés devant le Louvre devaient surgir pour la couper en deux et, par un à-droite et un à-gauche, en pousser une partie vers le faubourg dont elle était venue et une autre vers les guichets de la galerie, restés ouverts, par lesquels elle devait fuir, également forcée par les bataillons de Saint-Roch venus de la place du Palais-Royal par la rue de Rohan, et par ceux de la place Vendôme.

Au château, la famille royale attendait. Le 9 août à onze heures du soir, peu avant que le tocsin ne sonne, la reine et Madame Elisabeth s’étaient retirées dans leurs appartements après que les enfants aient été couchés. Le signal de l’insurrection mobilisa l’attention de tous, répété par les clochers de Paris, tandis que les gentilshommes venaient encombrer les couloirs du château. La princesse de Lamballe perdit sa contenance : « Nous ne l’échapperons pas, nous serons tous massacrés ! Ils ont juré notre mort ! ». La reine, quant à elle, refusait de croire à l’éventualité d’une attaque, malgré l’arrivée de nouvelles inquiétantes, mais contradictoires, tous les quarts d’heure. Le marquis de Clermont vint pourtant l’avertir de la réalité du danger. La reine lui répondit : « Est-ce que vous pouvez croire qu’ils osent venir attaquer le château ? Quelle folie ! Cela est impossible. » Il fallut l’agitation consécutive au son du tocsin pour lui prouver que le marquis avait raison. Elle se détermina dès lors à rejoindre immédiatement le roi et à le soutenir jusqu’au moment critique et, s’adressant au marquis de Clermont et au baron de Viomesnil, leur déclara : « Ecoutez, vous êtes deux honnêtes gens à qui je puis me fier. Donnez-moi tous deux votre parole d’honneur d’exécuter ce que je vais vous demander. — Vous obéir est notre devoir, Madame. Votre Majesté peut compter sur nous. — Eh bien, jurez-moi tous les deux de me clouer plutôt à cette place que de souffrir que j’en sorte ! » Puis elle gagna la chambre du Conseil.

Là se trouvait le roi entouré de ses ministres : Du Bouchage, Joly d’Abancourt, Bigot de Sainte-Croix, Champion et Le Roux de la Ville. La reine avait, quelques jours plus tôt, fait fabriquer à son intention un gilet de protection composé de trente doubles de taffetas de Florence piqués en carré, dont le comte de Paroy avait testé l’efficacité à coups de poignard. Elle voulut encourager le roi à se mettre à la tête de ses soldats après avoir revêtu le vêtement, et s’être armé de pistolets, mais il refusa, ce qui ne fit que confirmer ce que la reine avait déjà confié à son propos à Madame Campan : « Il a peur du commandement, et craint plus que tout autre chose de parler aux hommes réunis ».