De Varennes au 20 juin.

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Ce fut alors que le roi écarta lentement les rideaux, et se glissa discrètement hors de la chambre après avoir refermé l’alcôve, tandis que Lemoine venait s’allonger devant le lit. Il gagna l’escalier de la bibliothèque et descendit à l’entresol pour y endosser son costume et se coiffer de sa perruque et de son chapeau. Il rejoignit ensuite sa femme et sa sœur dans l’appartement du duc de Villequier.

Contournant, par la place Louis-XV, le jardin du château, et empruntant la rue Saint-Honoré et la rue de l’Echelle, Fersen avait mené son fiacre sur le petit Carrousel, non loin du pavillon de Marsan. C’était donc un long trajet que devaient parcourir Louis XVI, Marie-Antoinette et Madame Elisabeth. Celle-ci se décida la première. Accompagnée par un écuyer, Saint-Pardoux, le visage dissimulé derrière la gaze de son chapeau, elle traversa la cour Royale et atteignit le petit Carrousel vers minuit. Puis ce fut au tour du roi, accompagné de Malden, qui traversa les cours sans difficulté, la canne à la main, prenant même le temps de reboucler l’un de ses souliers. Restaient la reine et son garde du corps. Ils se portèrent sans encombre jusqu’à la porte Royale, qu’ils franchirent, mais le passage d’une voiture éclairée aux flambeaux et escortée de gardes terrifia soudain la reine qui recula ; c’était La Fayette qui traversait la place du Carrousel pour gagner le pont Royal et rentrer chez lui. Le carrosse enfin passé, la reine et son garde n’eurent plus que le désir de gagner au plus vite le fiacre de Fersen. Mais dans sa précipitation — et sa méconnaissance du quartier — , Marie-Antoinette voulut tourner à droite, traversa les guichets de la galerie du Bord de l’eau, passa la Seine sur le pont Royal pour finir dans la rue du Bac. Il fallut les conseils d’une sentinelle du pont pour que les deux personnes reviennent sur leurs pas et parviennent enfin au petit Carrousel. La reine monta dans la voiture, et le fiacre s’ébranla.

Le lendemain, Lemoine trouva vide le lit du roi. Informé de la disparition de celui-ci, le département de Paris prit l’arrêté suivant, qui fut approuvé par l’Assemblée nationale : « Sur la proposition d’un de ses membres, le département, attendu le départ du roi et de toute la famille royale, a arrêté que la municipalité de Paris fera apposer sur-le-champ les scellés sur les appartements du château des Tuileries et du Luxembourg ; qu’elle fera faire les perquisitions nécessaires pour connaître par quelles issues la famille royale a été enlevée ; qu’elle tiendra aux arrêts jusqu’à nouvel ordre tous ceux qui demeurent à l’intérieur du château des Tuileries, qu’elle les fera interroger ; que la municipalité donnera des ordres nécessaires pour fermer toutes les issues de Paris et veiller à ce que personne n’en sorte aujourd’hui. »

Le 25 juin, à six heures du soir, la berline royale rentrait aux Tuileries. Le voyage n’avait pas duré longtemps. Reconnu, Louis XVI n’avait pu aller plus loin que Varennes-en-Argonne. Une foule considérable envahissait les Champs-Elysées, la place Louis-XV et le jardin du château ; régnait un silence accusateur. Les gardes nationaux, qui formaient la double haie, tenaient leurs fusils renversés. La voiture franchit le Pont-Tournant. Dans le jardin, noir de monde, les gardes durent intervenir pour éviter à Malden, Moustier et Valory, réfugiés sur le toit, d’être taillés en pièces. La berline se rangea au pied de la terrasse, et la famille royale en descendit au milieu des murmures.

Le coucher du roi se déroula comme à l’ordinaire. Le lendemain, les trois gardes du corps, Madame Neuville et Madame Brunier furent conduits en prison. Les scellés appliqués par la municipalité furent levés, mais le département fut autorisé à en apposer d’autres sur tous les papiers du château, pour les transporter ensuite aux Archives nationales.

La famille royale devint dès cet instant l’objet de la surveillance la plus rigoureuse. Gouvion, le major de la garde nationale, ordonna le renouvellement des cartes d’entrée, la fouille de toutes les personnes attachées au service royal, et fit murer de nombreuses issues intérieures. Des factionnaires s’installèrent sur les toits du château. La chambre du dauphin, à laquelle il était possible d’accéder par la bibliothèque de la reine, resta continuellement fermée. La chapelle étant jugée trop éloignée des appartements royaux, la messe dut désormais avoir lieu dans la galerie de Diane. Chaque jour défilèrent des députations soucieuses de s’assurer de la situation. Madame Elisabeth écrivait à Madame de Bombelles au mois de juillet : « On a établi une espèce de camp sous les fenêtres du roi et de la reine, de peur qu’ils ne sautent dans le jardin, qui est hermétiquement fermé, et qui est rempli de soldats. »

La famille royale retrouva ses occupations. Ne sortant plus de leurs appartements, le roi, la reine et Madame Elisabeth se réfugièrent dans la lecture, la religion et l’éducation des enfants. Mais la reine se relevait mal du chagrin que lui causait sa position de prisonnière. « Je la trouvai sortant de son lit, écrit Madame Campan. Ses traits n’étaient pas extrêmement altérés. Mais après les premiers mots de bonté qu’elle m’adressa, elle ôta son bonnet, et me dit de voir l’effet que la douleur avait produit sur ses cheveux. En une seule nuit, ils étaient devenus blancs comme ceux d’une femme de soixante-dix ans. Sa Majesté me fit voir une bague qu’elle venait de faire monter pour la princesse de Lamballe. C’était une gerbe de ses cheveux blancs avec cette inscription : Blanchis par le malheur » Ayant reçu cette bague, la princesse, qui s’était enfuie en Angleterre, revint au château. Les soirées du pavillon de Flore reprirent peu à peu, auxquelles participèrent quelques membres de l’Assemblée nationale, parmi lesquels Barnave. Madame Elisabeth convainquit le roi et la reine de reprendre leurs parties de billard pour occuper leurs soirées. Enfin, Marie-Antoinette continua d’éduquer ses enfants. Elle se chargea d’ailleurs d’une jeune orpheline, Ernestine Lambriquet, ayant eu pour mère l’une des femmes de service de Marie-Thérèse.

Mais c’était surtout la constante surveillance qui pesait sur la reine qui rendit son existence pénible. Deux gardes nationaux étaient constamment dans sa chambre à coucher et avaient les yeux sur tous ses mouvements. Lorsque la reine désirait se mettre au lit, les gardes se retiraient, l’un se plaçant derrière la porte de la chambre qu’il laissait entrouverte.

Le roi, lui, s’absenta du château à plusieurs reprises. Il se rendit à l’Assemblée le 14 septembre pour accepter la Constitution, ce qui fut l’occasion d’une réjouissance générale le soir même. Une foule immense accourut au château, et les corps constitués, dont les voitures avaient envahi les cours, défilèrent devant Louis XVI. Le peuple inonda le jardin au cri de « Vive le roi » et la famille royale parcourut la capitale, escortée par la garde nationale. Puis, le roi retourna au Manège pour la clôture de l’Assemblée constituante et l’ouverture de l’Assemblée législative.

Il lui fut en outre attribué une garde d’honneur de mille huit cents hommes, astreinte au serment à la Constitution, dont le commandement fut donné au duc de Brissac.

Mais l’acceptation de la Constitution ne fut qu’un intermède, heureux mais bref. La popularité de la famille royale déclina tandis que le danger contre-révolutionnaire, lui, ne fit qu’augmenter. La guerre fut déclarée (avril 1792) et les premières défaites dressèrent les sans-culottes contre Louis XVI, soupçonné d’intelligences avec l’Autriche, et qui se dressa en outre contre les mesures votées par l’Assemblée visant les prêtres réfractaires et ordonnant la création près de Paris d’un camp de vingt mille fédérés. La garde du duc de Brissac fut licenciée le 29 mai, mais le ministère jacobin fut congédié. La lutte s’engageait entre le roi et la révolution.