Ce fut alors que le roi écarta lentement les
rideaux, et se glissa discrètement hors de la chambre après
avoir refermé l’alcôve, tandis que Lemoine venait s’allonger
devant le lit. Il gagna l’escalier de la bibliothèque et
descendit à l’entresol pour y endosser son costume et se
coiffer de sa perruque et de son chapeau. Il rejoignit ensuite sa femme
et sa sœur dans l’appartement du duc de Villequier.
Contournant, par la place Louis-XV, le jardin du château, et
empruntant la rue Saint-Honoré et la rue de l’Echelle,
Fersen avait mené son fiacre sur le petit Carrousel, non loin
du pavillon de Marsan. C’était donc un long trajet que
devaient parcourir Louis XVI, Marie-Antoinette et Madame Elisabeth.
Celle-ci se décida la première. Accompagnée par
un écuyer, Saint-Pardoux, le visage dissimulé derrière
la gaze de son chapeau, elle traversa la cour Royale et atteignit le
petit Carrousel vers minuit. Puis ce fut au tour du roi, accompagné
de Malden, qui traversa les cours sans difficulté, la canne à
la main, prenant même le temps de reboucler l’un de ses
souliers. Restaient la reine et son garde du corps. Ils se portèrent
sans encombre jusqu’à la porte Royale, qu’ils franchirent,
mais le passage d’une voiture éclairée aux flambeaux
et escortée de gardes terrifia soudain la reine qui recula ;
c’était La Fayette qui traversait la place du Carrousel
pour gagner le pont Royal et rentrer chez lui. Le carrosse enfin passé,
la reine et son garde n’eurent plus que le désir de gagner
au plus vite le fiacre de Fersen. Mais dans sa précipitation
— et sa méconnaissance du quartier — , Marie-Antoinette
voulut tourner à droite, traversa les guichets de la galerie
du Bord de l’eau, passa la Seine sur le pont Royal pour finir
dans la rue du Bac. Il fallut les conseils d’une sentinelle du
pont pour que les deux personnes reviennent sur leurs pas et parviennent
enfin au petit Carrousel. La reine monta dans la voiture, et le fiacre
s’ébranla.
Le lendemain, Lemoine trouva vide le lit du roi. Informé de
la disparition de celui-ci, le département de Paris prit l’arrêté
suivant, qui fut approuvé par l’Assemblée nationale
: « Sur la proposition d’un de ses membres, le département,
attendu le départ du roi et de toute la famille royale, a arrêté
que la municipalité de Paris fera apposer sur-le-champ les scellés
sur les appartements du château des Tuileries et du Luxembourg
; qu’elle fera faire les perquisitions nécessaires pour
connaître par quelles issues la famille royale a été
enlevée ; qu’elle tiendra aux arrêts jusqu’à
nouvel ordre tous ceux qui demeurent à l’intérieur
du château des Tuileries, qu’elle les fera interroger ;
que la municipalité donnera des ordres nécessaires pour
fermer toutes les issues de Paris et veiller à ce que personne
n’en sorte aujourd’hui. »
Le 25 juin, à six heures du soir, la berline royale rentrait
aux Tuileries. Le voyage n’avait pas duré longtemps. Reconnu,
Louis XVI n’avait pu aller plus loin que Varennes-en-Argonne.
Une foule considérable envahissait les Champs-Elysées,
la place Louis-XV et le jardin du château ; régnait un
silence accusateur. Les gardes nationaux, qui formaient la double haie,
tenaient leurs fusils renversés. La voiture franchit le Pont-Tournant.
Dans le jardin, noir de monde, les gardes durent intervenir pour éviter
à Malden, Moustier et Valory, réfugiés sur le toit,
d’être taillés en pièces. La berline se rangea
au pied de la terrasse, et la famille royale en descendit au milieu
des murmures.
Le coucher du roi se déroula comme à l’ordinaire.
Le lendemain, les trois gardes du corps, Madame Neuville et Madame Brunier
furent conduits en prison. Les scellés appliqués par la
municipalité furent levés, mais le département
fut autorisé à en apposer d’autres sur tous les
papiers du château, pour les transporter ensuite aux Archives
nationales.
La famille royale devint dès cet instant l’objet de la
surveillance la plus rigoureuse. Gouvion, le major de la garde nationale,
ordonna le renouvellement des cartes d’entrée, la fouille
de toutes les personnes attachées au service royal, et fit murer
de nombreuses issues intérieures. Des factionnaires s’installèrent
sur les toits du château. La chambre du dauphin, à laquelle
il était possible d’accéder par la bibliothèque
de la reine, resta continuellement fermée. La chapelle étant
jugée trop éloignée des appartements royaux, la
messe dut désormais avoir lieu dans la galerie de Diane. Chaque
jour défilèrent des députations soucieuses de s’assurer
de la situation. Madame Elisabeth écrivait à Madame de
Bombelles au mois de juillet : « On a établi une espèce
de camp sous les fenêtres du roi et de la reine, de peur qu’ils
ne sautent dans le jardin, qui est hermétiquement fermé,
et qui est rempli de soldats. »
La famille royale retrouva ses occupations. Ne sortant plus de leurs
appartements, le roi, la reine et Madame Elisabeth se réfugièrent
dans la lecture, la religion et l’éducation des enfants.
Mais la reine se relevait mal du chagrin que lui causait sa position
de prisonnière. « Je la trouvai sortant de son lit, écrit
Madame Campan. Ses traits n’étaient pas extrêmement
altérés. Mais après les premiers mots de bonté
qu’elle m’adressa, elle ôta son bonnet, et me dit
de voir l’effet que la douleur avait produit sur ses cheveux.
En une seule nuit, ils étaient devenus blancs comme ceux d’une
femme de soixante-dix ans. Sa Majesté me fit voir une bague qu’elle
venait de faire monter pour la princesse de Lamballe. C’était
une gerbe de ses cheveux blancs avec cette inscription : Blanchis par
le malheur » Ayant reçu cette bague, la princesse, qui
s’était enfuie en Angleterre, revint au château.
Les soirées du pavillon de Flore reprirent peu à peu,
auxquelles participèrent quelques membres de l’Assemblée
nationale, parmi lesquels Barnave. Madame Elisabeth convainquit le roi
et la reine de reprendre leurs parties de billard pour occuper leurs
soirées. Enfin, Marie-Antoinette continua d’éduquer
ses enfants. Elle se chargea d’ailleurs d’une jeune orpheline,
Ernestine Lambriquet, ayant eu pour mère l’une des femmes
de service de Marie-Thérèse.
Mais c’était surtout la constante surveillance qui pesait
sur la reine qui rendit son existence pénible. Deux gardes nationaux
étaient constamment dans sa chambre à coucher et avaient
les yeux sur tous ses mouvements. Lorsque la reine désirait se
mettre au lit, les gardes se retiraient, l’un se plaçant
derrière la porte de la chambre qu’il laissait entrouverte.
Le roi, lui, s’absenta du château à plusieurs reprises.
Il se rendit à l’Assemblée le 14 septembre pour
accepter la Constitution, ce qui fut l’occasion d’une réjouissance
générale le soir même. Une foule immense accourut
au château, et les corps constitués, dont les voitures
avaient envahi les cours, défilèrent devant Louis XVI.
Le peuple inonda le jardin au cri de « Vive le roi » et
la famille royale parcourut la capitale, escortée par la garde
nationale. Puis, le roi retourna au Manège pour la clôture
de l’Assemblée constituante et l’ouverture de l’Assemblée
législative.
Il lui fut en outre attribué une garde d’honneur de mille
huit cents hommes, astreinte au serment à la Constitution, dont
le commandement fut donné au duc de Brissac.
Mais l’acceptation de la Constitution ne fut qu’un intermède,
heureux mais bref. La popularité de la famille royale déclina
tandis que le danger contre-révolutionnaire, lui, ne fit qu’augmenter.
La guerre fut déclarée (avril 1792) et les premières
défaites dressèrent les sans-culottes contre Louis XVI,
soupçonné d’intelligences avec l’Autriche,
et qui se dressa en outre contre les mesures votées par l’Assemblée
visant les prêtres réfractaires et ordonnant la création
près de Paris d’un camp de vingt mille fédérés.
La garde du duc de Brissac fut licenciée le 29 mai, mais le ministère
jacobin fut congédié. La lutte s’engageait entre
le roi et la révolution.