De Varennes au 20 juin.

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Tout plan d’évasion était pourtant difficile à imaginer. A la vigilance des gardes nationaux s’ajoutait la méfiance de nombreux domestiques. Ce fut la reine qui parvint à découvrir la faille de la surveillance. Elle apprit en effet que son appartement, par un corridor et une porte depuis longtemps condamnée, communiquait avec la chambre de l’une de ses femmes, Madame de Ronchreuil, dont la porte donnait elle-même dans l’appartement du duc de Villequier, vide depuis le départ de celui-ci pour l’émigration, appartement donnant sur la cour des Princes et ne faisant l’objet d’aucun contrôle. Marie-Antoinette, après s’être procuré la clé de la pièce, fit déménager Madame de Ronchreuil sous prétexte de vouloir utiliser sa chambre pour sa fille, et fit également descendre au rez-de-chaussée, dans l’appartement de la princesse de Chimay, la première femme de chambre de Marie-Thérèse. Le roi put dès ce moment élaborer son projet de fuite ; il s’agissait de se rendre à Montmédy en se faisant escorter par le marquis de Bouillé à partir de Châlons-sur-Marne. De là, la famille royale devait pouvoir gagner l’étranger. Le départ fut fixé au 19 juin, mais dut finalement être reculé au lendemain, le roi craignant qu’un femme de chambre n’ait soupçonné les préparatifs du départ. La date fut immédiatement transmise à Bouillé.

La reine mit dans la confidence le comte Axel de Fersen, et le chargea de mettre au point l’organisation du voyage. Fersen se procura une voiture à six chevaux, destinée au voyage de la famille royale jusqu’à Claye, qu’il plaça près de la barrière Saint-Martin. Il en fit de plus construire une autre pour le trajet du château à la barrière.

Vint le jour décisif. Personne, à part la duchesse de Tourzel, ne se doutait de ce qui se préparait dans l’ombre. Il était huit heures du soir lorsque la reine, revenue d’une promenade avec ses enfants, se retira comme à son habitude dans ses appartements, après un entretien de quelques instants avec son coiffeur. Au même moment se retrouvaient sur la place du Carrousel Messieurs de Malden, Moustier et Valory, anciens gardes du corps du roi, habillés en courriers, qui se mirent à faire les cent pas le long des corps de garde du château. Trente minutes plus tard s’approcha un quatrième personnage, qui s’éloigna immédiatement en compagnie de Malden et Valory. Quant à Moustier, il traversa la cour royale, pénétra dans le vestibule d’honneur et, par le sombre corridor du rez-de-chaussée et le petit escalier attenant au cabinet de toilette de la reine, gagna l’entresol. Le roi l’y attendait. Les deux hommes entrèrent alors dans la bibliothèque de la reine, et y trouvèrent la souveraine en compagnie de Malden et Valory, parvenus jusqu’ici par un autre chemin. La reine donna un nouveau prénom à chacun de ces hommes sollicités pour accompagner la famille royale pendant le voyage, qui lui furent présentés l’un après l’autre. Cela fait, Moustier et Valory, emportant avec eux les effets de nuit de la reine et du dauphin, quittèrent la pièce pour se rendre sur le quai où les attendait le comte de Fersen, tandis que Malden se cachait dans un placard et que les époux royaux regagnaient leurs appartements respectifs.

Il était neuf heures lorsque se réunirent pour le dîner Monsieur, frère du roi, venu du Luxembourg, son épouse et Madame Elisabeth dans le salon en compagnie de la reine. Marie-Thérèse et le dauphin furent couchés, puis le roi et la reine vinrent rejoindre le reste de la famille. Après un repas d’une vingtaine de minutes dans la salle du couvert, les cinq personnes revinrent dans le salon de compagnie où il fut question du départ. Le roi donna rendez-vous à son frère près de Montmédy pour le surlendemain.

Dix heures sonnèrent. La reine quitta discrètement le salon, traversa sa chambre à coucher, et monta au premier étage par l’escalier de sa bibliothèque. Une sentinelle veillait dans le couloir. Marie-Antoinette parvint à se faufiler sans encombre jusqu’à la chambre de sa fille, et tapota sur la porte en appelant doucement Madame Brunier. Elle entra, lui ordonna d’habiller Marie-Thérèse et passa dans la chambre du dauphin, où se trouvaient Mesdames de Bar, de Neuville et de Tourzel. Elle réveilla son fils d’un chuchotement à l’oreille, qui quitta son lit pour se faire habiller. Puis elle redescendit sans bruit. Les enfants furent ensuite descendus par leurs dames dans la bibliothèque, où ils trouvèrent Madame Thibault et Malden sortant de son placard. Madame royale endossa une robe de toile à fleurettes et son frère, qui dormait à moitié, un costume de fillette, et les deux enfants embrassèrent leur père venu les voir quelques instants. La reine, Madame de Tourzel tenant Marie-thérèse, et Malden tenant le dauphin, gagnèrent alors le corridor du rez-de-chaussée et se rendirent dans l’appartement désert du duc de Villequier, qui donnait sur la cour des Princes par quatre portes vitrées. Dissimulé sous une houppelande et un chapeau de cocher, Fersen ouvrit l’une des portes du dehors et , masqué par les voitures alignées le long de la façade du château, fit sortir les deux enfants et leur gouvernante dans la cour, accompagnés de la reine. Le petit groupe traversa prudemment la cour au milieu des gardes nationaux, habitués à voir sortir du château les familiers du roi à cette heure de la nuit. Marie-Thérèse ne put s’empêcher de pousser un petit cri en frôlant l’un des factionnaires, qui ne suspecta rien. Le fiacre de Fersen attendait dans la cour Royale. Le dauphin, Marie-Thérèse et Madame de Tourzel y prirent place, le comte monta sur le siège et fit sortir la voiture par la porte Royale, puis par le guichet de la galerie du Bord de l’eau qui donnait sur le quai. La reine revint sur ses pas et rejoignit le roi au château. Il était environ onze heures moins le quart.

Quant à Mesdames Brunier et Neuville, elles furent conduites, par l’escalier du pavillon de Flore ou de la reine, sur le quai d’Orsay où les attendait le cabriolet.

Ce fut alors que les services du coucher prirent leurs postes au château. Monsieur quitta son frère et prit sa voiture rangée sous le péristyle de l’escalier de la reine. Son épouse s’en alla de même. Madame Elisabeth gagna son appartement. La reine fit sa toilette de nuit tandis que le garçon de chambre, Desclaux, fermait portes et volets. Enfin, le roi se coucha, suivant l’étiquette, dans la chambre de parade. La cérémonie terminée, il passa dans sa chambre effective. Les rideaux de son lit fermés par le valet de chambre Lemoine, celui-ci se retira quelques instants pour aller revêtir sa chemise de nuit dans la petite pièce d’angle.