La famille royale.
(page 4/5)

Mais le château lui-même ne suffisait pas à l’installation de tous les innombrables services. Il avait fallu également utiliser les bâtiments des cours. Dans la cour des Suisses étaient installés, entre autres, M. Deschamps, officier de la bouche du roi, les pompiers, l’apothicaire de la reine, les chirurgiens, la cuisine du duc de Brissac, capitaine des Cent Suisses, M. Champcenetz, le gouverneur du château dont la maison, sise rue du Dauphin, avait été confisquée par le roi, et M. Gosselin, inspecteur du château ; dans la cour Royale, la garde nationale, le serrurier, M. Dupare, inspecteur ; dans la cour des Princes, le coiffeur de Madame Elisabeth, le gardien des appartements de la reine, le balayeur, l’allumeur de réverbères, le cocher, l’infirmerie, la boulangerie, la cuisine de Madame de Tourzel.
 

Les caves, l’échansonnerie, la rôtisserie, le lavoir, la vaisselle générale, les cuisines, la lingerie, la glacière étaient aménagés dans les souterrains du château.

Dans les mois qui suivirent l’installation de la famille royale se succédèrent quelques travaux. On éleva dans les cours Royale et des Princes une barrière en charpente pour permettre aux visiteurs de les traverser sans danger de se voir écrasés par les fiacres et les carrosses qui s’y rangeaient. On construisit un petit couloir en planches destiné à donner une entrée aux personnes introduites chez le roi par les premiers valets de chambre, sans que des étranger viennent encombrer le passage. Enfin, après que les spectacles aient été définitivement suspendus (décembre 1789), furent prises plusieurs mesures pour empêcher les dégradations et la transformation des loges d’acteurs en logements particuliers dans la salle des Machines, et pour faciliter les communications entre les appartements de Mesdames et ceux du roi.

Ce fut dans ce cadre que la famille royale vécut deux ans et dix mois, entourée d’un nombreux personnel : gentilshommes, gardes, serviteurs, domestiques, officiers et fonctionnaires de toutes sortes, qu’il fallut souvent établir au-delà des cours du château, comme dans l’hôtel de la Vallière, l’hôtel de Longueville ou les habitations de la rue Saint-Nicaise ou du cul-de-sac du Doyenné. De ceux qui logeaient dans la demeure du roi, la plupart mêlés aux frotteurs, valets, porteurs d’eau, tourne-broches ou fille de garde-robe, ne jouissaient pas de chambres particulières ; Marquant, garçon de la chambre du roi, mangeait et dormait dans la salle du Conseil. Chaque membre de la famille royale possédait d’ailleurs son petit entourage. Autour du roi gravitaient les quatre premiers gentilshommes de la chambre, parmi lesquels le duc de Richelieu et le marquis de Duras, le capitaine des Cent-Suisses de son ancienne garde, le duc de Brissac, et de nombreux valets de chambre, dont Thierry et Chamilly. Le corps des huissiers de la chambre subsista. La reine, elle, eut à souffrir de la lente dislocation de sa Maison, conséquence de l’émigration ; les places vacantes furent occupées pendant un temps par des individus sans relief que la reine finit par révoquer. De plus, l’abolition des ordres de noblesse (juin 1790) eut pour effet de disperser toutes les dames composant la suite du roi et de la reine. D’une centaine de personnes fidèlement attachées à Marie-Antoinette avant 1789, il n’en resta bientôt que quelques-unes parmi lesquelles Cléry et la princesse de Lamballe. Les tantes du roi, Mesdames Victoire et Adélaïde, finirent elles-mêmes par émigrer en février 1791. Marie-Thérèse et son frère avaient respectivement pour dames Mesdames Brunier et Neuville, et pour gouvernante Madame de Tourzel.

Cette dispersion progressive de l’entourage de la reine s’accompagna d’ailleurs d’un relâchement de l’étiquette. Le cérémonial obligeant par exemple la princesse de Lamballe à ne paraître qu’à certaines heures devant la famille royale s’effrita lentement et, en 1792, toute espèce d’étiquette était pratiquement abolie.

Il était naturellement nécessaire, pour assurer la sécurité du roi et des siens, d’établir une garde aux portes du château. Les gardes du corps sur lesquels le roi s’était appuyé avant son arrivée à Paris durent se retirer, et laisser leur place à la garde nationale parisienne formée en juillet 1789. Ayant La Fayette pour commandant et Gouvion pour major, elle comptait soixante bataillons — un par district —, chaque bataillon étant muni de deux pièces d’artillerie. Un premier bataillon avait la garde du château pendant vingt-quatre heures. Au moment du lever du roi, tandis que La Fayette se rendait dans la chambre du monarque, un nouveau bataillon se présentait pour opérer la relève, et deux pièces de canon étaient placées de chaque côté du pavillon central. La surveillance des Tuileries incombait au total à six cent gardes nationaux ; deux corps de garde encadraient le Pont-tournant ; chaque porte du jardin comptait une sentinelle ; des soldats à cheval veillaient sur les portes extérieures du château ; des factionnaires peuplaient la terrasse du Bord de l’eau tous les cent mètres. A l’intérieur, chaque issue menant aux appartements royaux était gardée, et ce sans exception, le moindre escalier dérobé n’échappant pas à la surveillance. Le roi et la reine ne pouvaient sortir dans le jardin sans être accompagnés.

La famille royale se promenant devant le château (gravure anonyme).

Le 20 octobre 1789, soit quatorze jours après son arrivée, le roi reçut au château la visite de l’Assemblée nationale, elle-même installée dans la capitale depuis la veille, dans la salle de l’Archevêché, Ile de la Cité. Il était six heures du soir quand les députés furent introduits par les officiers de cérémonies, ayant leur président, le conseiller au parlement Fréteau, à leur tête. Celui-ci prononça l’éloge du roi, puis se transporta avec les représentants dans l’appartement de la reine, alors encore situé au premier étage, en traversant la galerie de Diane. Marie-Antoinette se leva et, après avoir entendu un nouvel éloge du président, prit le dauphin dans ses bras aux applaudissements de l’assistance.

Interrompue par l’effervescence des premiers jours, la vie quotidienne de la famille royale reprit dès lors peu à peu. On se familiarisa avec cette nouvelle demeure que le dauphin avait trouvé si laide, et chacun retrouva de quoi remplir ses journées.

Le roi, après avoir été réveillé par le premier valet de chambre qui avait couché au pied de son lit, et reçu garçons de chambre, médecins, officiers et autres personnes, consacrait les premiers instants du lever à la prière, après avoir revêtu ses habits. Cela fait, il se rendait, par un escalier situé derrière la chambre du lit, dans son cabinet du rez-de-chaussée donnant sur le jardin, et ne manquait pas de consulter le thermomètre accroché à la vitre du minuscule local aménagé dans l’angle de la pièce. Il écrivait ensuite son état, recevait la visite de son épouse et de ses enfants, et prenait le petit déjeuner tout en se renseignant sur les nouvelles du matin. Puis, toujours dans le même cabinet, et une fois sortie sa famille, il se mettait au travail, étudiant les affaires du moment, préparant la séance du Conseil, rédigeant sa correspondance. Si parfois la reine, tentant de s’ingérer dans les activités de son époux, essuyait de sa part un mouvement de méchante humeur, qui la forçait à se retirer, il n’en était pas de même pour Durey, valet de chambre et confident du monarque, qui seul pouvait à ce moment-là pénétrer dans la pièce. Après cela, le roi prenait quelque détente en faisant une longue marche dans les appartements du château, préférant ne pas s’aventurer dans le jardin où il craignait d’être assailli par les cris du public. C’était ensuite la messe. Accompagné de sa famille qui le précédait, défilant avec les officiers de la Maison entre deux haies, Louis XVI se rendait, par la terrasse du premier étage donnant sur le jardin, à la tribune de la chapelle, applaudi par la foule massée au pied du château. Par la suite, il préféra d’ailleurs faire établir un couloir en planches reliant directement ses appartements à la chapelle. La messe terminée, le roi s’entretenait avec ses sujets, puis restait dans sa chambre jusqu’au déjeuner. S’il mangeait vite et plutôt avidement, il ne forçait pas sur l’alcool et diluait son vin dans beaucoup d’eau, mais ne pouvait résister à son demi-verre de liqueur à la fin du repas.

L’après-midi était consacrée à l’éducation du dauphin et à la lecture. Tandis que la reine avait fait venir toute sa bibliothèque, le roi s’était contenté de ne ramener de la sienne que quelques ouvrages, principalement des livres religieux et historiques. Il s’intéressait particulièrement aux grandes révolutions du passé et au destin tragique de Charles Ier d’Angleterre. Quand les ouvrages lui manquaient, il en faisait chercher à la bibliothèque nationale. En plus de cette distraction purement intellectuelle, le roi aimait parfois à se réfugier dans son atelier de serrurerie pour y goûter les joies de son passe-temps favori. Il y fit fondre, en compagnie de Durey, trois coffres d’argent doré qui furent convertis en lingots. Une clé, d’ailleurs non terminée, fut le seul ouvrage qu’il réalisa aux Tuileries.

Le soir, l’affluence était considérable au château, la noblesse restée à Paris tenant à manifester au roi son dévouement. C’était alors un défilé de femmes tenant dans leurs mains de gros bouquets de lys ornés de rubans blancs. Enfin, après dîner, la famille royale se réunissait autour de la table de billard, accompagnée de spectateurs. La reine remportant d’ailleurs un grand nombre de parties, le roi se montrait fort mauvais perdant. Un soir qu’il se voyait battu par son ministre de la Guerre, La Tour du Pin, à qui les spectateurs donnaient d’ailleurs raison, il entra dans une folle colère, brisa sa queue et sortit. Il se rendit compte le lendemain de sa sottise, mais se jura de ne plus jouer désormais qu’avec la reine. La partie terminée, le roi gagnait, aux environs de onze heures du soir, la chambre de parade, accompagné de son entourage. Après avoir remis son épée et son chapeau au premier gentilhomme de la chambre, il discutait quelques instants avec les personnes présentes, puis passait derrière la balustrade du lit de parade, récitait une oraison et retirait son habit. Deux garçons le déchaussaient. Placé à l’entrée de la pièce, l’huissier priait alors l’assistance de se retirer, et le roi restait seul avec le service particulier. Quelques minutes après arrivait La Fayette, venu prendre des nouvelles. Une fois le commandant parti, le roi pouvait enfin se retirer dans sa chambre à coucher effective, située derrière, contre celle du dauphin. Le garçon et le valet de chambre l’aidaient à se mettre au lit ; les rideaux de l’alcôve étaient refermés ; le garçon se retirait, et le valet de chambre, après s’être déshabillé dans un petit cabinet pratiqué dans l’angle de la chambre, venait se coucher en chemise de nuit au pied du lit royal, en ayant soin d’attacher à son bras le cordon d’appel.

Irrégulièrement se tenait, dans la salle attenante à la chambre de parade, sur la cour, le Conseil du roi. C’était là que Louis XVI et ses six ministres, Necker, Saint-Priest, Champion de Cicé, La Tour du Pin, La Luzerne et Montmorin — remplacés à la fin de 1790 — se réunissaient pour discuter de l’administration et de la sûreté du royaume. Le roi pénétrait toujours dans la salle accompagné, soit de la gazette du soir, soit des lettres qu’il avait reçu pendant la journée. La première demi-heure de la séance était consacrée à leur lecture, et à la remise des plus importantes aux ministres concernés. Puis ces derniers exposaient les rapports de leurs affaires, tandis que le roi brûlait à la bougie le reste des missives avant de les jeter au sol.

Le séjour aux Tuileries fit de son épouse la reine, femme frivole du temps de Versailles, une personne sérieuse et une mère dévouée. Les étourdissantes distractions, autrefois provoquées par le désir d’échapper à la faiblesse et à la passivité du mari, disparurent, et le roi devint l’objet de toutes les sollicitations de Marie-Antoinette. La vie de la reine fut désormais partagée entre les méditations, les prières et les aumônes. La souveraine recevait la Cour deux fois par semaine, et déjeunait le dimanche en public avec le roi, dans la galerie de Diane, avant la messe. Il n’y eut plus de concert ni de spectacles ; la reine ne se rendit guerre qu’une fois à l’Opéra, à la fin de 1791, mais les journaux patriotes ayant dénoncé la soirée, pendant laquelle une foule de royalistes acclamèrent Marie-Antoinette, le roi lui interdit désormais de sortir du château. Elle rédigeait sans répit sa correspondance avec les princes de sang, les cours étrangères et ses amis, dormant très peu. Ses principales distractions consistaient à magner l’aiguille, à jouer au loto deux fois par semaine avec des dames invitées pour la circonstance, et à s’entretenir avec la duchesse de Tourzel tandis que les enfants s’amusaient. Une partie de tric-trac se disputait parfois avec la princesse de Lamballe, la surintendante de la Maison, et d’autres personnes.