Les caves, l’échansonnerie,
la rôtisserie, le lavoir, la vaisselle générale,
les cuisines, la lingerie, la glacière étaient aménagés
dans les souterrains du château.
Dans les mois qui
suivirent l’installation de la famille royale se succédèrent
quelques travaux. On éleva dans les cours Royale et des Princes
une barrière en charpente pour permettre aux visiteurs de les
traverser sans danger de se voir écrasés par les fiacres
et les carrosses qui s’y rangeaient. On construisit un petit couloir
en planches destiné à donner une entrée aux personnes
introduites chez le roi par les premiers valets de chambre, sans que
des étranger viennent encombrer le passage. Enfin, après
que les spectacles aient été définitivement suspendus
(décembre 1789), furent prises plusieurs mesures pour empêcher
les dégradations et la transformation des loges d’acteurs
en logements particuliers dans la salle des Machines, et pour faciliter
les communications entre les appartements de Mesdames et ceux du roi.
Ce fut dans ce cadre
que la famille royale vécut deux ans et dix mois, entourée
d’un nombreux personnel : gentilshommes, gardes, serviteurs, domestiques,
officiers et fonctionnaires de toutes sortes, qu’il fallut souvent
établir au-delà des cours du château, comme dans
l’hôtel de la Vallière, l’hôtel de Longueville
ou les habitations de la rue Saint-Nicaise ou du cul-de-sac du Doyenné.
De ceux qui logeaient dans la demeure du roi, la plupart mêlés
aux frotteurs, valets, porteurs d’eau, tourne-broches ou fille
de garde-robe, ne jouissaient pas de chambres particulières ;
Marquant, garçon de la chambre du roi, mangeait et dormait dans
la salle du Conseil. Chaque membre de la famille royale possédait
d’ailleurs son petit entourage. Autour du roi gravitaient les
quatre premiers gentilshommes de la chambre, parmi lesquels le duc de
Richelieu et le marquis de Duras, le capitaine des Cent-Suisses de son
ancienne garde, le duc de Brissac, et de nombreux valets de chambre,
dont Thierry et Chamilly. Le corps des huissiers de la chambre subsista.
La reine, elle, eut à souffrir de la lente dislocation de sa
Maison, conséquence de l’émigration ; les places
vacantes furent occupées pendant un temps par des individus sans
relief que la reine finit par révoquer. De plus, l’abolition
des ordres de noblesse (juin 1790) eut pour effet de disperser toutes
les dames composant la suite du roi et de la reine. D’une centaine
de personnes fidèlement attachées à Marie-Antoinette
avant 1789, il n’en resta bientôt que quelques-unes parmi
lesquelles Cléry et la princesse de Lamballe. Les tantes du roi,
Mesdames Victoire et Adélaïde, finirent elles-mêmes
par émigrer en février 1791. Marie-Thérèse
et son frère avaient respectivement pour dames Mesdames Brunier
et Neuville, et pour gouvernante Madame de Tourzel.
Cette dispersion
progressive de l’entourage de la reine s’accompagna d’ailleurs
d’un relâchement de l’étiquette. Le cérémonial
obligeant par exemple la princesse de Lamballe à ne paraître
qu’à certaines heures devant la famille royale s’effrita
lentement et, en 1792, toute espèce d’étiquette
était pratiquement abolie.
Il était
naturellement nécessaire, pour assurer la sécurité
du roi et des siens, d’établir une garde aux portes du
château. Les gardes du corps sur lesquels le roi s’était
appuyé avant son arrivée à Paris durent se retirer,
et laisser leur place à la garde nationale parisienne formée
en juillet 1789. Ayant La Fayette pour commandant et Gouvion pour major,
elle comptait soixante bataillons — un par district —, chaque
bataillon étant muni de deux pièces d’artillerie.
Un premier bataillon avait la garde du château pendant vingt-quatre
heures. Au moment du lever du roi, tandis que La Fayette se rendait
dans la chambre du monarque, un nouveau bataillon se présentait
pour opérer la relève, et deux pièces de canon
étaient placées de chaque côté du pavillon
central. La surveillance des Tuileries incombait au total à six
cent gardes nationaux ; deux corps de garde encadraient le Pont-tournant
; chaque porte du jardin comptait une sentinelle ; des soldats à
cheval veillaient sur les portes extérieures du château
; des factionnaires peuplaient la terrasse du Bord de l’eau tous
les cent mètres. A l’intérieur, chaque issue menant
aux appartements royaux était gardée, et ce sans exception,
le moindre escalier dérobé n’échappant pas
à la surveillance. Le roi et la reine ne pouvaient sortir dans
le jardin sans être accompagnés.
Le 20 octobre 1789,
soit quatorze jours après son arrivée, le roi reçut
au château la visite de l’Assemblée nationale, elle-même
installée dans la capitale depuis la veille, dans la salle de
l’Archevêché, Ile de la Cité. Il était
six heures du soir quand les députés furent introduits
par les officiers de cérémonies, ayant leur président,
le conseiller au parlement Fréteau, à leur tête.
Celui-ci prononça l’éloge du roi, puis se transporta
avec les représentants dans l’appartement de la reine,
alors encore situé au premier étage, en traversant la
galerie de Diane. Marie-Antoinette se leva et, après avoir entendu
un nouvel éloge du président, prit le dauphin dans ses
bras aux applaudissements de l’assistance.
Interrompue par
l’effervescence des premiers jours, la vie quotidienne de la famille
royale reprit dès lors peu à peu. On se familiarisa avec
cette nouvelle demeure que le dauphin avait trouvé si laide,
et chacun retrouva de quoi remplir ses journées.
Le roi, après
avoir été réveillé par le premier valet
de chambre qui avait couché au pied de son lit, et reçu
garçons de chambre, médecins, officiers et autres
personnes, consacrait les premiers instants du lever à la
prière,
après avoir revêtu ses habits. Cela fait, il se rendait,
par un escalier situé derrière la chambre du lit, dans
son cabinet du rez-de-chaussée donnant sur le jardin, et ne
manquait pas de consulter le thermomètre accroché à la
vitre du minuscule local aménagé dans l’angle
de la pièce.
Il écrivait ensuite son état, recevait la visite de son
épouse et de ses enfants, et prenait le petit déjeuner
tout en se renseignant sur les nouvelles du matin. Puis, toujours
dans
le même cabinet, et une fois sortie sa famille, il se mettait
au travail, étudiant les affaires du moment, préparant
la séance du Conseil, rédigeant sa correspondance.
Si parfois la reine, tentant de s’ingérer dans les
activités
de son époux, essuyait de sa part un mouvement de méchante
humeur, qui la forçait à se retirer, il n’en était
pas de même pour Durey, valet de chambre et confident du monarque,
qui seul pouvait à ce moment-là pénétrer
dans la pièce. Après cela, le roi prenait quelque
détente
en faisant une longue marche dans les appartements du château,
préférant ne pas s’aventurer dans le jardin où
il craignait d’être assailli par les cris du public. C’était
ensuite la messe. Accompagné de sa famille qui le précédait,
défilant avec les officiers de la Maison entre deux haies,
Louis XVI se rendait, par la terrasse du premier étage donnant
sur le jardin, à la tribune de la chapelle, applaudi par
la foule massée au pied du château. Par la suite, il
préféra
d’ailleurs faire établir un couloir en planches reliant
directement ses appartements à la chapelle. La messe terminée,
le roi s’entretenait avec ses sujets, puis restait dans sa
chambre jusqu’au déjeuner. S’il mangeait vite
et plutôt
avidement, il ne forçait pas sur l’alcool et diluait son
vin dans beaucoup d’eau, mais ne pouvait résister à
son demi-verre de liqueur à la fin du repas.
L’après-midi
était consacrée à l’éducation du dauphin
et à la lecture. Tandis que la reine avait fait venir toute sa
bibliothèque, le roi s’était contenté de
ne ramener de la sienne que quelques ouvrages, principalement des livres
religieux et historiques. Il s’intéressait particulièrement
aux grandes révolutions du passé et au destin tragique
de Charles Ier d’Angleterre. Quand les ouvrages lui manquaient,
il en faisait chercher à la bibliothèque nationale. En
plus de cette distraction purement intellectuelle, le roi aimait parfois
à se réfugier dans son atelier de serrurerie pour y goûter
les joies de son passe-temps favori. Il y fit fondre, en compagnie de
Durey, trois coffres d’argent doré qui furent convertis
en lingots. Une clé, d’ailleurs non terminée, fut
le seul ouvrage qu’il réalisa aux Tuileries.
Le soir, l’affluence
était considérable au château, la noblesse restée
à Paris tenant à manifester au roi son dévouement.
C’était alors un défilé de femmes tenant
dans leurs mains de gros bouquets de lys ornés de rubans blancs.
Enfin, après dîner, la famille royale se réunissait
autour de la table de billard, accompagnée de spectateurs. La
reine remportant d’ailleurs un grand nombre de parties, le roi
se montrait fort mauvais perdant. Un soir qu’il se voyait battu
par son ministre de la Guerre, La Tour du Pin, à qui les spectateurs
donnaient d’ailleurs raison, il entra dans une folle colère,
brisa sa queue et sortit. Il se rendit compte le lendemain de sa sottise,
mais se jura de ne plus jouer désormais qu’avec la reine.
La partie terminée, le roi gagnait, aux environs de onze heures
du soir, la chambre de parade, accompagné de son entourage. Après
avoir remis son épée et son chapeau au premier gentilhomme
de la chambre, il discutait quelques instants avec les personnes présentes,
puis passait derrière la balustrade du lit de parade, récitait
une oraison et retirait son habit. Deux garçons le déchaussaient.
Placé à l’entrée de la pièce, l’huissier
priait alors l’assistance de se retirer, et le roi restait seul
avec le service particulier. Quelques minutes après arrivait
La Fayette, venu prendre des nouvelles. Une fois le commandant parti,
le roi pouvait enfin se retirer dans sa chambre à coucher effective,
située derrière, contre celle du dauphin. Le garçon
et le valet de chambre l’aidaient à se mettre au lit ;
les rideaux de l’alcôve étaient refermés ;
le garçon se retirait, et le valet de chambre, après s’être
déshabillé dans un petit cabinet pratiqué dans
l’angle de la chambre, venait se coucher en chemise de nuit au
pied du lit royal, en ayant soin d’attacher à son bras
le cordon d’appel.
Irrégulièrement
se tenait, dans la salle attenante à la chambre de parade, sur
la cour, le Conseil du roi. C’était là que Louis
XVI et ses six ministres, Necker, Saint-Priest, Champion de Cicé,
La Tour du Pin, La Luzerne et Montmorin — remplacés à
la fin de 1790 — se réunissaient pour discuter de l’administration
et de la sûreté du royaume. Le roi pénétrait
toujours dans la salle accompagné, soit de la gazette du soir,
soit des lettres qu’il avait reçu pendant la journée.
La première demi-heure de la séance était consacrée
à leur lecture, et à la remise des plus importantes aux
ministres concernés. Puis ces derniers exposaient les rapports
de leurs affaires, tandis que le roi brûlait à la bougie
le reste des missives avant de les jeter au sol.
Le séjour
aux Tuileries fit de son épouse la reine, femme frivole du temps
de Versailles, une personne sérieuse et une mère dévouée.
Les étourdissantes distractions, autrefois provoquées
par le désir d’échapper à la faiblesse et
à la passivité du mari, disparurent, et le roi devint
l’objet de toutes les sollicitations de Marie-Antoinette. La vie
de la reine fut désormais partagée entre les méditations,
les prières et les aumônes. La souveraine recevait la Cour
deux fois par semaine, et déjeunait le dimanche en public avec
le roi, dans la galerie de Diane, avant la messe. Il n’y eut plus
de concert ni de spectacles ; la reine ne se rendit guerre qu’une
fois à l’Opéra, à la fin de 1791, mais les
journaux patriotes ayant dénoncé la soirée, pendant
laquelle une foule de royalistes acclamèrent Marie-Antoinette,
le roi lui interdit désormais de sortir du château. Elle
rédigeait sans répit sa correspondance avec les princes
de sang, les cours étrangères et ses amis, dormant très
peu. Ses principales distractions consistaient à magner l’aiguille,
à jouer au loto deux fois par semaine avec des dames invitées
pour la circonstance, et à s’entretenir avec la duchesse
de Tourzel tandis que les enfants s’amusaient. Une partie de tric-trac
se disputait parfois avec la princesse de Lamballe, la surintendante
de la Maison, et d’autres personnes.