Après que le roi et son épouse aient
opéré la visite du château, et ayant soin de marquer
sur les différents logements rencontrés les réparations
à effectuer, et tandis que les meubles de Versailles arrivaient
régulièrement, notamment la bibliothèque de la reine,
il fut procédé à leur installation proprement dite.
Ainsi se présentaient les appartements des Tuileries, ayant
conservé leurs plafonds peints par Nicolas Loir, Noël Coypel
et Nicolas Mignard, à la fin du mois d’octobre. Dans le
pavillon de Flore, au premier étage, était Madame Elisabeth.
Le mobilier qui garnissait son appartement était représentatif
de sa grande dévotion. Il y avait là, par exemple, un
prie-dieu garni de livres religieux et décorés de têtes
de christ, de cœurs enflammés et de formules chrétiennes.
Mais la pièce la plus étrange de cet ensemble était
un grand écran de bois, d’une hauteur d’environ un
mètre, dont il suffisait de pousser le bouton et de détacher
les trois petits crochets pour le voir se transformer soudain en un
léger confessionnal prêt à l’usage, avec siège,
tablette et guichet fermé d’une grille de bois. La princesse
préférait toutefois user d’une plaque de marbre
noir pour la confession, sur laquelle elle s’agenouillait. Au
même étage, dans une chambre voisine, était sa bibliothèque,
essentiellement composée d’ouvrages liturgiques, historiques,
artistiques et scientifiques ; dans la même pièce étaient
rangés ses accessoires de peinture, pinceaux, couleurs et papiers,
ainsi qu’un certain nombre d’instruments scientifiques,
tels règles et compas. Dans l’entresol du dessus étaient
placés le service de Madame Elisabeth, l’évêque
de Laon, grand aumônier de la reine, et le grand maître
des logis ; au second étage, la comtesse d’Ossun, dame
d’atours de la reine, les premières femmes de chambre du
dauphin, le pied-à-terre des dames du palais, et la garde-robe
des enfants royaux ; dans l’entresol du dessus, les garçons
de chambre, le pied-à-terre de Madame Elisabeth et les femmes
de garde du dauphin ; au troisième étage, un valet de
chambre, des garçons et le marquis de Dreux-Brézé,
Grand Maître des cérémonies. Lorsque la princesse
de Lamballe était allée rejoindre la reine, le 8 octobre,
on l’avait installée au rez-de-chaussée du pavillon.
La galerie du château qui s’élevait contre le pavillon
de Flore, ainsi que le pavillon de Bullant qui la prolongeait, étaient
occupés par la famille royale. Tant au rez-de-chaussée
qu’au premier étage, une longue cloison, parfois percée
de portes, les divisait en deux dans le sens de la longueur, séparant
ainsi les appartements donnant sur la cour de ceux donnant sur le jardin.
Cette cloison était longée au rez-de-chaussée par
un corridor obscur faiblement éclairé par quelques lanternes.
Il avait été percé pour faciliter la circulation.
La première pièce de la galerie prenant jour sur le jardin
dans laquelle on entrait an venant du rez-de-chaussée du pavillon
de Flore, était la salle du roi, dite aussi celle du couvert.
Elle était suivie de la salle de billard, au centre de laquelle
se trouvait la table de jeu près de laquelle reposait un livret
sur lequel le roi devait marquer les résultats des parties disputées.
Venait ensuite le salon de compagnie de la reine, où se trouvaient
également divers instruments de jeux, tels râteaux, cartes,
dés et jetons d’ivoire. Puis on entrait dans la chambre
de la reine, éclairée par deux croisées sur le
jardin. Au fond de la pièce, situé à droite en
entrant, le lit était enfoncé dans une alcôve délimitée
par quatre grosses colonnes creuses, et encadrée de deux portes,
l’une communiquant avec le corridor sombre, l’autre avec
la garde-robe. Parmi les meubles de la reine se trouvait une chaise
percée dotée d’une seringue mécanique, qui
permettait de procéder à des lavements et des injections
sans se mouiller les mains. Contre le cabinet de toilette qui suivait,
dans lequel la souveraine avait placé son écrin à
bijoux, parmi lesquels un splendide collier de diamants, un petit escalier
menait à la bibliothèque située à l’entresol,
renfermant derrière ses portes vitrées une collection
complète de romans anglais, traduits en français, de nombreux
livres de musique, ainsi que des aiguilles et du fil. L’escalier
continuait de monter jusqu’au premier étage. Du cabinet
de toilette, on pénétrait de plain-pied au rez-de-chaussée
du pavillon de Bullant.
C’était la que l’on trouvait, après une salle
d’archives contenant les papiers relatifs au gouvernement, l’atelier
de serrurerie de Louis XVI, dont on sait qu’il avait fait bon
usage à Versailles. Le roi y avait placé soin matériel,
établi avec étau, limes, marteaux, tenailles, mais dut
se passer de forge, d’enclume, et même de cheminée.
Puis on entrait dans le cabinet du roi, éclairé par une
croisée sur le jardin ; c’était là que se
trouvait sa garde-robe — mouchoirs de batiste, paires de bas de
coton fin, chemises de toile de Frise avec manchettes et jabots de dentelle.
Dans l’angle nord-ouest du pavillon, communiquant avec le cabinet,
était une pièce si étroite que seule une personne
pouvait y tenir, prenant un faible jour par deux petites croisées
sur le jardin. Au carreau de l’une d’elle était suspendu
le thermomètre du roi. Le local était garni de livres
de dévotion, dont un « Exercice de Piété
» aux armes de Louis XVI. A l’entresol, à côté
de la bibliothèque de la reine, se trouvait le cabinet de géographie
du roi où se conservaient, dans des boîtes alignées
sur des rayonnages, toutes ses cartes topographiques et, dans un coin
de la pièce, roulées sur elles-mêmes, plusieurs
cartes de plus de six mètres de long, que le souverain avait
logé dans une cavité spécialement percée
dans le plancher, près de la cheminée pour les préserver
de l’humidité. Au centre du cabinet était une table
destinée à l’examen des plans.
Toujours au rez-de-chaussée, mais du côté de la
cour, les différents logements, qui possédaient chacun
une entrée particulière fermée par une porte vitrée,
et un petit perron de quelques marches communiquant à la cour,
avaient été attribués aux gentilshommes et aux
dames de service, notamment Madame de Tourzel.
Au premier étage, sur le jardin, étaient installés
le roi et ses deux enfants. Du pavillon de Flore, on entrait d’abord
dans une antichambre, puis dans la chambre des femmes de Marie-Thérèse,
suivie de la chambre de celle-ci. On y avait placé le piano de
la jeune fille, accompagné de ses cahiers de musique, et une
table pour qu’elle puisse se livrer aux plaisirs du dessin, garnie
de papiers et de crayons. Venait ensuite la chambre de son frère,
de dimensions plus restreintes, éclairée par une seule
croisée. A côté du lit du dauphin était celui
de sa gouvernante, tous deux en damas vert, et des rideaux à
franges d’or ornaient le mur. Dans une commode se conservaient
les jouets du jeune prince, parmi lesquels une collection de coquillages
et un petit plat à barbe en porcelaine, ainsi que ses vêtements.
La chambre du dauphin communiquait avec celle du roi. Le lit était
placé dans un enfoncement formé d’un côté
par un couloir et de l’autre par un cabinet de garde-robe, couronné
par un ciel en dôme soutenant des rideaux de Pékin à
flammes. La cheminée faisait face au lit, près de laquelle
se dressait un prie-dieu ; un porte-montre fermé d’un verre
était accroché au mur. Afin que le dauphin puisse appeler
son père en cas de besoin pendant la nuit, on avait descellé
une petite croisée de soixante-six centimètres carré
donnant, de l’autre côté de la cloison, sur la tête
du lit de l’enfant.
Toutes ces pièces donnant sur le jardin étaient séparées
par le mur divisant cette galerie du château en deux d’une
longue salle, appelée galerie de Diane, qui prenait jour sur
la cour par six croisées. On l’appelait également
galerie des Ambassadeurs, ou galerie des Carraches, du nom du peintre
ayant réalisé un plafond du palais Farnèse, à
Rome, plafond dont on retrouvait copie dans cette galerie, oeuvre de
Mignard.
Dans le pavillon de Bullant, sur le jardin, de plain-pied avec la chambre
à coucher du roi, était la vaste chambre de parade. C’était
là que le roi devait procéder chaque soir au grand coucher,
devant une nombreuse assistance, suivant l’étiquette, avant
de gagner sa chambre effective. C’était une salle richement
décorée à l’antique, de tapisserie rouge
brodée d’or ; le lit était précédé
d’une balustrade où se trouvait le coussin de drap d’or
destiné à recevoir les mouchoirs et le bonnet de nuit
du roi. A ses pieds, les pantoufles de soie blanche ; sur un fauteuil,
la robe de chambre de même couleur. La chambre de parade était
suivie d’un cabinet. Du côté de la cour, attenante
à cette chambre et faisant suite à la galerie de Diane,
était la salle du Conseil, lieu de réunion du roi et de
ses ministres. Couverte d’un tapis vert, une table ronde de 1,65
mètre de diamètre trônait au centre de la pièce,
sur laquelle s’amassait encriers, papiers et plumes taillées.
On tint toujours à maintenir cette salle dans la plus grande
propreté. Elle était suivie de la chambre dite du Lit,
puis, de plain-pied dans le corps du bâtiment faisant suite au
pavillon de Bullant, de la salle de l’Œil-de-bœuf ,
ainsi dénommée par analogie avec celle de Versailles,
enfin de la salle des Suisses. Ces deux dernières places donnaient
à la fois sur la cour et sur la terrasse qui les longeait depuis
le pavillon de Bullant jusqu’au pavillon central, et de laquelle
on pouvait découvrir la magnifique perspective du jardin du château,
de la place Louis-XV et des Champs-Elysées. Cette partie de la
façade était ornée d’une rangée de
bustes d’empereurs romains.
Venait ensuite le pavillon central du château, constituant son
entrée principale. Le grand vestibule était au rez-de-chaussée,
dont le plafond, un peu bas, était soutenu par des arcades ornées
de colonnes ioniques. De là partait le grand escalier monumental.
Une première rampe majestueuse, dont la balustrade était
formée de lyres entrelacées de serpents — devises
de Louis XIV et armes de Colbert — montait vers l’aile nord.
Parvenu au palier d’entresol, l’escalier, après un
demi-tour, se divisait en deux nouvelles rampes qui montaient au premier
étage du pavillon central, où était aménagée
la salle des Cent-Suisses. De la porte donnant accès au corps
de bâtiment sud, on avait un beau point de vue sur l’enfilade
des différentes pièces prenant jour sur la cour.
C’était du palier d’entresol situé à
l’extrémité de la première rampe que l’on
pouvait gagner les salles de l’aile nord du château, toutes
situées au niveau de ce palier, et dont les fenêtres étaient
par conséquent placées assez haut. On traversait d’abord
la chapelle, éclairée par six croisées sur la cour
et six autres sur la terrasse pendante à celle de l’aile
sud, carrelée de blanc et de noir, avec sa tribune royale et
sa loge de musiciens ; puis venait la sacristie. On entrait ensuite
de plain-pied dans le pavillon du Théâtre, occupé
par la salle de l’ancien théâtre du château,
en forme d’ellipse brisée, puis dans l’immense salle
de spectacle qui occupait toute la galerie faisant suite au pavillon.
Longue d’environ quarante mètres, de forme mi-ovale, cette
salle possédait sa scène, son foyer, ses loges d’acteurs.
Son plafond, chargé de peintures et de sculptures, était
l’œuvre de Coypel sur des cartons de Le Brun. Les loges des
balcons étaient soutenues par des colonnes corinthiennes dont
les chapiteaux et les soubassements étaient richement décorés,
tout comme la corniche et la balustrade.
Faisant suite à la salle des Machines, le pavillon de Marsan
terminait le château. Madame Adélaïde, tante du roi,
était au rez-de-chaussée ; les bureaux de Mesdames, à
l’entresol du dessus ; Madame Victoire, seconde tante du roi,
au premier étage ; la duchesse de Narbonne, dame d’honneur
de Madame Adélaïde, M.Ferret, la garde-robe de Mesdames,
et les suppléments de logements de la duchesse de Narbonne, à
l’entresol du dessus ; le duc de Liancourt, grand-maître
de la garde-robe, le comte de Brassac, premier écuyer de Madame
Victoire, et le vicomte de Talleyrand, premier écuyer de Madame
Adélaïde, au premier étage ; les dames de Mesdames,
l’aumônier du roi de quartier, le comte de Narbonne, chevalier
d’honneur de Madame Adélaïde, et l’aumônier
de la reine de quartier, à l’entresol du dessus ; enfin,
la comtesse de Chatelux et son mari, respectivement dame d’honneur
et chevalier d’honneur de Madame Victoire, et la garde-robe du
roi, au troisième étage. Les différents appartements
étaient ornés de glaces provenant de Choisy.