Le jardin national.

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Robespierre, l’homme du moment, marchait devant les députés en tant que président de l’Assemblée. David était présent pour faire respecter l’ordre de la marche, agitant son chapeau et criant : « Place au délégué de la Convention ! ». La joie avait pourtant abandonné l’Incorruptible. Derrière lui montaient déjà les quolibets et les injures de ceux qui préparaient se chute.

Il fut en effet renversé et mis en état d’arrestation dans l’après-midi du 9 thermidor (27 juillet), à l’issue de la séance la plus houleuse qu’ait connu la Convention. Etant parvenu avec ses amis à se rendre à l’Hôtel de ville où se tenaient ses partisans, il y fut blessé d’un coup de pistolet à la mâchoire au moment de l’invasion de la maison-commune par les troupes de l’Assemblée, le lendemain, vers deux heures du matin.

Il fut alors décidé de l’emmener au Comité de salut public afin de le panser. Une douzaine de sans-culottes l’emportèrent donc vers le château, le tenant par la tête et les pieds. Une foule de passants se pressait devant le pavillon de l’Egalité. Robespierre voulut se cacher son visage ensanglanté avec son bras, mais il fut reconnu. « Il n’est pas mort, dit l’un des curieux, car il est encore chaud. — Ne v’la t-il pas un beau roi ? dit un autre. — Quand ce serait le corps de César, dit un troisième. Pourquoi ne pas l’avoir jeté à la voirie ? » Les sans-culottes interdirent qu’on le touche, et pénétrèrent dans le château par l’escalier du pavillon.

Le blessé fut porté dans l’un des appartements qui précédaient le local du Comité de salut public, et déposé sur un grand bureau de style Louis XV en bois de citronnier, richement orné de bronzes, et ayant appartenu au roi. On glissa sous sa tête une boîte de sapin contenant des échantillons de pain de munition envoyés par l’armée du nord. Il portait l’habit bleu et la culotte jaune qu’il avait revêtu pour la fête de l’Etre suprême. Il n’avait ni chapeau, ni cravate, et ses bas de coton blanc étaient rabattus jusque sur ses talons. Le sang coulait abondamment de sa mâchoire, se répandant sur sa chemise. Il ne remuait pas mais respirait fortement, posant sa main droite sur son front pour cacher son visage dont les muscles se tendaient parfois, traduisant la terrible souffrance qu’il endurait sans gémir. De nombreux citoyens entrèrent dans le salon pour l’accabler d’injures : « Sire, votre Majesté souffre ? — Eh bien, il me semble que tu as perdu la parole ; tu n’achèves pas ta motion, elle était si bien commencée ; ah, il faut que je te dise la vérité : tu m’as bien trompé, scélérat. — Je ne connais qu’un homme qui ait bien connu l’art des tyrans ; cet homme est Robespierre ».

Robespierre blessé, dans l'hantichambre du Comité de statut public (dessin de Duplessis-Bertaux, gravé par Berthaut).

Le blessé sortit de sa poche un petit sac de peau blanche portant l’inscription : « Au Grand Monarque, Lecourt, fourbisseur du roi et de ses troupes… », pour retirer le sang caillé qui emplissait sa bouche. On lui donna ensuite plusieurs morceaux de papier dont il fit le même usage, en s’appuyant sur son coude gauche.

Bientôt arrivèrent à leur tour Saint-Just, Payan et Dumas, attachés et escortés par des gendarmes. Après être restés debout près d’un quart d’heure, ils s’assirent dans l’embrasure d’une fenêtre. « Retirez-vous donc, dit-on à ceux qui encombraient la pièce, que ces messieurs voient leur roi dormir sur une table tout comme un homme. » Les trois personnes demeurèrent impassibles, demandant simplement aux gendarmes de leur apporter de l’eau. Saint-Just se parla à lui-même en fixant la Constitution de 1793 figurant sur le mur. Puis, Lacoste vint ordonner le transfert des trois prisonniers à la Conciergerie, qui furent aussitôt entraînés, et fit venir le chirurgien.

Robespierre fut placé sur son séant après que l’on ait préparé du linge et de la charpie. Le chirurgien lui lava la figure, le tournant du côté du jour, puis lui introduisit une clé dans la bouche, d’où il arracha avec une pince plusieurs dents déracinées. Après y avoir enfoncé de gros tampons de linge, il nettoya le trou percé par la balle, sur lequel il appliqua ensuite un morceau de charpie qu’il maintint par un bandeau passant sous le menton, et couvrit d’un linge la partie supérieure de la tête. Cela ne manqua pas de tirer de l’assistance quelques injures supplémentaires : « Voilà que l’on pose le diadème à sa Majesté. — Le voilà coiffé comme une religieuse. » Le pansement terminé, le blessé fut recouché sur le bureau, mais il se releva soudain pour aller se placer dans un fauteuil où il demanda du linge et de l’eau.

Barère, Billaud-Varenne et Collot d’Herbois, réunis dans le local du Comité de salut public, ordonnèrent le transfert de Robespierre à la Conciergerie où il fut transporté dans son fauteuil, avant d’être conduit à l’échafaud.

Dans ce jardin National où l’Incorruptible s’était élevé au faîte de sa popularité en rendant hommage à l’Etre suprême, fut bientôt exposée la dépouille de celui qui n’avait jamais cessé de l’inspirer. Le 19 vendémiaire an III (10 octobre), le corps de Rousseau arrivait à Paris pour être inhumé au Panthéon, et il fut décidé de le placer dans le jardin pour la nuit. Les habitants d’Ermenonville franchirent silencieusement le Pont-tournant en traînant le char funèbre sur lequel reposait le cercueil du philosophe, surmonté d’un berceau d’arbustes et de fleurs, tandis que les airs de l’ « Homme de la Nature » étaient interprétés. La bière fut déposée sur une estrade élevée au-dessus du bassin circulaire principal, converti en « Ile des Peupliers », là même où la figure de l’Athéisme avait flambé, et recouverte d’un drap bleu parsemé d’étoiles, à la lueur des flambeaux. On chanta en pleurant l’air de « Dans ma cabane obscure », ainsi qu’un hymne de M. J. Chénier :

O Rousseau, modèle des sages
Bienfaiteur de l’humanité
D’un peuple fier et libre accepte les hommages
Et, du fond du tombeau, soutiens l’Egalité.