Plus sérieuses
encore furent les journées qui secouèrent la Convention
deux ans plus tard. Le 12 germinal an III (1er avril 1795), de nombreux
manifestants des faubourgs exaspérés par la disette chronique
parvinrent à pénétrer dans la salle des séances,
où ils lurent des pétitions et réclamèrent
du pain. La journée se termina sans incident, mais le répit
de l’Assemblée ne dura pas longtemps. Le 1er prairial (20
mai), les émeutiers revinrent.
La séance
commença par la lecture de la correspondance. Après qu’un
membre du Comité de sûreté générale
ait lu aux députés une brochure intitulée Plan
d’insurrection du peuple pour obtenir du pain et reconquérir
ses droits, que l’on répandait dans Paris, plusieurs députations
furent entendues. Mais de nombreuses poissardes envahirent les tribunes
quelques instants plus tard. Le cri répété de «
Du pain » commença à se faire entendre, et bientôt
les clameurs redoublèrent. Le président Vernier retira
son chapeau et tenta de convaincre le peuple de se retirer. «
Non, non ! répliquèrent les femmes. C’est du pain
que nous voulons. » Ordre fut donné à la garde de
faire évacuer les tribunes. Ce fut alors que des coups très
violents se firent entendre. Le peuple avait envahi le pavillon de l’Unité
et l’ancienne chapelle et tentait d’enfoncer la porte su
salon de la Liberté. Le général de brigade qui
était à la barre fut aussitôt nommé commandant
de la force armée, fit évacuer les tribunes et repousser
les manifestants. Deux meneurs furent conduits au Comité de sûreté
générale. Les débats purent reprendre.
Mais de
nouvelles vociférations accompagnées du cri de «
Aux armes » résonnèrent derrière la porte
d’entrée de la salle, laquelle fut brusquement forcée
par la foule. La garde ne put la contenir. Les émeutiers,
armés
de fusils, de piques et de sabres, hurlant « Du pain » et
coiffant des chapeaux sur lesquels figurait l’inscription «
La Constitution de 93 », inondèrent le local en un instant.
Plusieurs femmes obligèrent les occupants des premières
banquettes à leur laisser leurs places, et plusieurs représentants
furent insultés, préférant se réfugier
au sommet des gradins. Le député Féraud, qui
s’était
opposé à l’entrée des insurgés et
qui tentait de les repousser au pied de la tribune pour que Vernier
n’en soit pas la victime, fut abattu d’un coup de fusil
puis traîné par les cheveux hors de la salle. La tribune
des orateurs et le bureau présidentiel furent submergés,
et l’un des assaillants fit la lecture du plan d’insurrection
du peuple en réclamant l’arrestation des membres du
gouvernement, fréquemment interrompu par des cris de joie
et des roulements de tambour. Ce fut à ce moment que l’on
vit s’approcher,
fichée au bout d’une pique, la tête du malheureux
Féraud, qui fut présentée au président
de l’Assemblée. Les derniers députés montagnards
se joignirent aux émeutiers pour décréter une
série
de mesures d’exception.
La force
armée parvint dans la soirée à libérer la
Convention, aux cris de « A bas la Montagne, vive la Convention
! ». Le lendemain, les bataillons des faubourgs marchèrent
de nouveau sur le château, mais acceptèrent ensuite de
se retirer.
Pour rendre
hommage à Féraud, l’Assemblée décida
de placer au bas de la tribune une table de marbre blanc, sur laquelle
son sabre, son écharpe, son chapeau et une couronne de chêne
et de laurier furent déposés.
Une dernière
menace pesa sur le château quelques jours avant la séparation
de la Convention, lorsque les sections modérées et
royalistes de la capitale entreprirent de déclencher une
insurrection à
la suite du vote du décret des Deux Tiers, stipulant que leur
futur gouvernement serait composé aux deux tiers de conventionnels.
Tandis que le mouvement se séparait, l’Assemblée
organisa sa défense. Barras et Bonaparte en furent chargés.
La rue de l’Echelle, la place du Carrousel, la cour du Manège,
les quais, le Pont Neuf, le pont National et la place de la Révolution
furent peuplés de soldats. La bataille eut lieu le 13
vendémiaire
an IV (5 octobre 1795), mais les insurgés n’eurent pas
le temps de menacer de près la Convention. Bonaparte les écrasa
sur les marches de l’église Saint-Roch et sur les quais.
Le combat fit environ cinq cents victimes.
Quant à
l’Assemblée, elle se sépara vingt et un jours plus
tard, laissant la salle de Gisors à la disposition du Conseil
des Anciens.