Le cortège
de la royauté ne comprenait, si l’on en croit Madame de
la Rochejacquelein, pas moins de deux mille voitures. La maison du roi,
celle de la reine, et toute la domesticité, avaient en effet
suivi le souverain. C’est donc cette masse considérable
de personnes — près de sept cents — qu’il fallut,
vers neuf heures et demi, après que le roi se soit montré
au balcon de l’Hôtel de ville pour recevoir les ovations
d’une foule en délire, acheminer jusqu’à la
nouvelle demeure de la monarchie.
Qui donc aurait
pu deviner, en cette fin du XVIIIe siècle, que le château
des Tuileries serait propre à recevoir le roi de France et son
entourage ? Car assurément l’oubli dans lequel l’édifice
avait sombré depuis le départ de Louis XV pour Versailles,
en 1772, laissait bien penser qu’il ne serait plus jamais question
d’en rouvrir les portes à un personnage de si haut rang.
Né en 1564 du vœu de Catherine de Médicis, le château
avait d’abord été l’œuvre des architectes
aussi prestigieux que Philibert Delorme — l’un des créateurs
de Fontainebleau — et Jean Bullant. Mais c’est en 1664 que
Louis Le Vau et François d’Orbay lui avaient donné
sa physionomie définitive, en lui faisant subir des transformations
considérables, régularisant le rythme de ses ornements
et lui attribuant un idéal classique.
Le château
des Tuileries était constitué de cinq pavillons et
de quatre corps de bâtiments élevés sur une
même
ligne, d’une ordonnance harmonieuse, mais néanmoins diversement
traitée selon les endroits, d’une longueur totale de
trois cent vingt-huit mètres. Perpendiculaire à la
Seine dans l’axe de la rue du Bac et du pont Royal, l’édifice
regardait, à l’ouest le jardin tracé par Le Nôtre
s’étendant sur une longueur totale de sept cent
mètres jusqu’à la place Louis-XV, et à l’est
l’inextricable amas de maisons, d’hôtels et de ruelles
sordides qui le séparaient du Louvre, mais dont il restait
nettement distinct grâce à ses trois cours et à la
place du Carrousel. La longue galerie du Bord de l’eau, qui
longeait le quai, le faisait communiquer avec ce dernier palais
depuis son extrémité
méridionale.
Le premier pavillon
des Tuileries, dit pavillon de Flore, s’élevait précisément
à la jonction du Bord de l’eau et du château. Il
comprenait un rez-de-chaussée et deux hauts étages, dominés
par un comble très élevé dont les bases comprenaient
un petit attique, percé de deux fenêtres, en leur milieu.
Du côté du jardin, chaque étage était constitué
de trois groupes de fenêtres. Un escalier, dit escalier de la
Reine, desservait les différents étages du pavillon tout
en permettant d’accéder au reste du château. A la
suite du pavillon de Flore, perpendiculaire à la galerie du Bord
de l’eau, s’élevait le premier corps de bâtiment
du château ; c’était la Petite galerie, plus basse
que le pavillon , décorée d’un ordre colossal à
pilastres et comprenant sept fenêtres par étage. Elle se
prolongeait par le pavillon dit de Bullant, de la même largeur,
ayant trois fenêtres par étage encadrées chacune
par une coupe de colonnes, et dont le toit reposait sur un attique à
balustrade. A sa suite, un corps de bâtiment, ayant terrasse sur
le jardin au premier étage, percé de douze fenêtres,
et dont l’attique était couronné par une balustrade
masquant un toit très faiblement incliné, le faisait communiquer
avec le pavillon central du château. Celui-ci comprenait un rez-de-chaussée
où s’ouvrait la porte d’honneur, plein cintre côté
jardin et rectangulaire côté cour, flanquée de deux
couples de colonnes ioniques à bracelets avec, de part et d’autre,
une porte-fenêtre ; le premier étage était percé
de trois fenêtres rectangulaires, le second, de trois fenêtres
curvilignes. L’attique à balustrade était masqué
en son centre par un grand fronton triangulaire chargé d’allégories.
Le tout était couronné par un volumineux dôme quadrangulaire.
Toujours dans le même alignement, et symétriquement à
cette aile sud par rapport au pavillon central, se succédaient
ensuite un autre corps de bâtiment, un nouveau pavillon —
dit du Théâtre — et une nouvelle galerie, formant
avec le pavillon précédent un ensemble appelé Salle
des Machines, enfin un dernier pavillon, le pavillon de Marsan, semblable
à son pendant.
Le jardin s’élevait
à l’ouest du château. C’était André
Le Nôtre qui, sollicité par Colbert, avait eu la charge,
en 1664, de remodeler le jardin de la fin du XVIe siècle pour
le remplacer par un ensemble digne de l’édifice que l’on
était en train de modifier. Un large perron longeant le château
sur toute se longueur, et comprenant six marches, permettait d’accéder
à une esplanade garnie de parterres en broderie, encadrant trois
bassins ronds, disposés en triangle. Le plus grand était
situé au commencement de la grande allée qui, dans l’axe
du pavillon central du château, menait jusqu’à un
bassin hexagonal de soixante mètres de diamètre, au-delà
duquel se trouvait, donnant sur la place Louis-XV, l’entrée
principale du jardin constituée d’un ingénieux pont
tournant franchissant un fossé. Elle était encadrée
de deux terrasses en fer à cheval.
C’est dans
cette partie du jardin que, le 12 juillet 1789, le prince de Lambesc
avait chargé les manifestants qui exigeaient le rappel de Necker.
La grande allée
était plantée de marronniers et flanquée de chaque
côté de deux autres allées parallèles. Au
sud et au nord, le jardin était limité par la terrasse
du Bord de l’eau et la terrasse des Feuillants. Il était
orné dans son ensemble, en différents endroits, de vases
et de statues en marbre, dont certaines étaient l’œuvre
de Coustou et Coysevox. Un mur assez haut longeant la terrasse des Feuillants
la séparait d’une allée gazonnée limitée,
à l’est par des bâtiments quelconques, les Ecuries
du roi, à la hauteur du pavillon de Marsan, et à l’ouest
par un grand manège appuyé contre le mur de la terrasse
de tout son long, qui avait été élevé pour
l’éducation de Louis XV encore mineur, dans l’axe
de la place Vendôme. Enfin, du manège à la place
Louis-XV, s’élevaient les bâtiments et les jardins
des couvents des Feuillants, des Capucins et de l’Assomption.