La famille royale.

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Il était environ six heures du soir lorsque le cortège arriva sur la place de Grève, devant l’Hôtel de ville. De Versailles à Paris, sa marche avait duré plus de cinq heures. Tout le long du trajet, réunis dans une même voiture, Louis XVI, Marie-Antoinette et leurs deux enfants, Marie-Thérèse — dix ans — et leur Dauphin — quatre ans —, accompagnés de la duchesse de Tourzel, leur gouvernante, et de Madame Elisabeth, sœur du roi, n’avaient cessé d’inspirer à la foule qui les escortait la joie bruyante de la victoire. Sous la conduite des femmes de Paris, exaspérées par la disette et le refus du roi de reconnaître l’abolition des privilèges et la Déclaration des Droits de l’Homme, la monarchie venait de quitter à jamais, ce 6 octobre 1789, le château du Roi Soleil, assurant ainsi le triomphe de la Révolution en se mettant sous la protection de la capitale. En s’installant à Paris, le roi semblait sceller sa réconciliation avec le peuple.
 

Le cortège de la royauté ne comprenait, si l’on en croit Madame de la Rochejacquelein, pas moins de deux mille voitures. La maison du roi, celle de la reine, et toute la domesticité, avaient en effet suivi le souverain. C’est donc cette masse considérable de personnes — près de sept cents — qu’il fallut, vers neuf heures et demi, après que le roi se soit montré au balcon de l’Hôtel de ville pour recevoir les ovations d’une foule en délire, acheminer jusqu’à la nouvelle demeure de la monarchie.

Qui donc aurait pu deviner, en cette fin du XVIIIe siècle, que le château des Tuileries serait propre à recevoir le roi de France et son entourage ? Car assurément l’oubli dans lequel l’édifice avait sombré depuis le départ de Louis XV pour Versailles, en 1772, laissait bien penser qu’il ne serait plus jamais question d’en rouvrir les portes à un personnage de si haut rang. Né en 1564 du vœu de Catherine de Médicis, le château avait d’abord été l’œuvre des architectes aussi prestigieux que Philibert Delorme — l’un des créateurs de Fontainebleau — et Jean Bullant. Mais c’est en 1664 que Louis Le Vau et François d’Orbay lui avaient donné sa physionomie définitive, en lui faisant subir des transformations considérables, régularisant le rythme de ses ornements et lui attribuant un idéal classique.

Le château des Tuileries était constitué de cinq pavillons et de quatre corps de bâtiments élevés sur une même ligne, d’une ordonnance harmonieuse, mais néanmoins diversement traitée selon les endroits, d’une longueur totale de trois cent vingt-huit mètres. Perpendiculaire à la Seine dans l’axe de la rue du Bac et du pont Royal, l’édifice regardait, à l’ouest le jardin tracé par Le Nôtre s’étendant sur une longueur totale de sept cent mètres jusqu’à la place Louis-XV, et à l’est l’inextricable amas de maisons, d’hôtels et de ruelles sordides qui le séparaient du Louvre, mais dont il restait nettement distinct grâce à ses trois cours et à la place du Carrousel. La longue galerie du Bord de l’eau, qui longeait le quai, le faisait communiquer avec ce dernier palais depuis son extrémité méridionale.

Vue générale du château au XVIIIe siècle (gravure de Rigaud).

Le premier pavillon des Tuileries, dit pavillon de Flore, s’élevait précisément à la jonction du Bord de l’eau et du château. Il comprenait un rez-de-chaussée et deux hauts étages, dominés par un comble très élevé dont les bases comprenaient un petit attique, percé de deux fenêtres, en leur milieu. Du côté du jardin, chaque étage était constitué de trois groupes de fenêtres. Un escalier, dit escalier de la Reine, desservait les différents étages du pavillon tout en permettant d’accéder au reste du château. A la suite du pavillon de Flore, perpendiculaire à la galerie du Bord de l’eau, s’élevait le premier corps de bâtiment du château ; c’était la Petite galerie, plus basse que le pavillon , décorée d’un ordre colossal à pilastres et comprenant sept fenêtres par étage. Elle se prolongeait par le pavillon dit de Bullant, de la même largeur, ayant trois fenêtres par étage encadrées chacune par une coupe de colonnes, et dont le toit reposait sur un attique à balustrade. A sa suite, un corps de bâtiment, ayant terrasse sur le jardin au premier étage, percé de douze fenêtres, et dont l’attique était couronné par une balustrade masquant un toit très faiblement incliné, le faisait communiquer avec le pavillon central du château. Celui-ci comprenait un rez-de-chaussée où s’ouvrait la porte d’honneur, plein cintre côté jardin et rectangulaire côté cour, flanquée de deux couples de colonnes ioniques à bracelets avec, de part et d’autre, une porte-fenêtre ; le premier étage était percé de trois fenêtres rectangulaires, le second, de trois fenêtres curvilignes. L’attique à balustrade était masqué en son centre par un grand fronton triangulaire chargé d’allégories. Le tout était couronné par un volumineux dôme quadrangulaire. Toujours dans le même alignement, et symétriquement à cette aile sud par rapport au pavillon central, se succédaient ensuite un autre corps de bâtiment, un nouveau pavillon — dit du Théâtre — et une nouvelle galerie, formant avec le pavillon précédent un ensemble appelé Salle des Machines, enfin un dernier pavillon, le pavillon de Marsan, semblable à son pendant.

Le jardin s’élevait à l’ouest du château. C’était André Le Nôtre qui, sollicité par Colbert, avait eu la charge, en 1664, de remodeler le jardin de la fin du XVIe siècle pour le remplacer par un ensemble digne de l’édifice que l’on était en train de modifier. Un large perron longeant le château sur toute se longueur, et comprenant six marches, permettait d’accéder à une esplanade garnie de parterres en broderie, encadrant trois bassins ronds, disposés en triangle. Le plus grand était situé au commencement de la grande allée qui, dans l’axe du pavillon central du château, menait jusqu’à un bassin hexagonal de soixante mètres de diamètre, au-delà duquel se trouvait, donnant sur la place Louis-XV, l’entrée principale du jardin constituée d’un ingénieux pont tournant franchissant un fossé. Elle était encadrée de deux terrasses en fer à cheval.

C’est dans cette partie du jardin que, le 12 juillet 1789, le prince de Lambesc avait chargé les manifestants qui exigeaient le rappel de Necker.

La grande allée était plantée de marronniers et flanquée de chaque côté de deux autres allées parallèles. Au sud et au nord, le jardin était limité par la terrasse du Bord de l’eau et la terrasse des Feuillants. Il était orné dans son ensemble, en différents endroits, de vases et de statues en marbre, dont certaines étaient l’œuvre de Coustou et Coysevox. Un mur assez haut longeant la terrasse des Feuillants la séparait d’une allée gazonnée limitée, à l’est par des bâtiments quelconques, les Ecuries du roi, à la hauteur du pavillon de Marsan, et à l’ouest par un grand manège appuyé contre le mur de la terrasse de tout son long, qui avait été élevé pour l’éducation de Louis XV encore mineur, dans l’axe de la place Vendôme. Enfin, du manège à la place Louis-XV, s’élevaient les bâtiments et les jardins des couvents des Feuillants, des Capucins et de l’Assomption.