La popularité de la famille royale n’allait
pourtant pas tarder à s’effriter. La fête de la Fédération
avait vu le roi prêter serment de rester fidèle à
la Nation ; mais l’année 1791 mit les patriotes dans le doute.
Une série d’événements dont les Tuileries furent
le théâtre jeta le discrédit sur Louis XVI en favorisant
la rupture entre la monarchie et la Révolution.
Le 28 février 1791, tandis que le faubourg Saint-Antoine dirigé
par Santerre s’apprêtait à marcher sur Vincennes
pour en démolir le donjon, ancienne prison royale, courut dans
les milieux royalistes le bruit que, après le mouvement, le peuple
marcherait sur le château pour y menacer le roi. Dans l’après-midi,
trois cent gentilshommes attachés à la cause de la monarchie,
et d’ailleurs habitués à se rendre souvent auprès
de leur monarque, envahirent la château, beaucoup étant
armés de pistolets de poche. Le soir, La Fayette, revenu de Vincennes
où il avait réussi à dissiper le rassemblement
populaire, eut connaissance des faits et fit transporter l’artillerie
dans les cours. On apprit un peu plus tard qu’un individu avait
été interpellé non loin de la chambre de la reine,
porteur d’un poignard de forme énigmatique. Le commandant
de la garde nationale monta dans les appartements du roi, où
il trouva une foule de gentilshommes armés de sabres. On crut
à un complot royaliste destiné à menacer la capitale.
Le roi ordonna aux individus de désarmer sur-le-champ. Les épées
furent déposées dans sa commode après avoir été
étiquetées, et les pistolets furent enfermés dans
un coffre. Mais, sur les ordres de La Fayette, les gardes nationaux
s’en emparèrent et, jusqu’à onze heures du
soir, les déchargèrent dans les cours du château.
Les gentilshommes furent contraints de se retirer au milieu des injures
des soldats.
Cette affaire des « chevaliers du poignard » entraîna
un renforcement de la surveillance. Les cartes d’entrée
furent renouvelées. Pénétrer dans le jardin, et
plus encore dans le château, en dehors des heures d’ouverture,
devint moins facile.
Quant à Louis XVI, il se vit environné de soupçons.
Les progrès de la Révolution commençaient d’ailleurs
à l’effrayer. La Constitution civile du clergé (juillet
1790) et plus encore l’obligation formulée aux prêtres
de prêter le serment de la respecter, avaient profondément
atteint son sentiment religieux. Lui-même n’acceptait pas
la présence dans la chapelle de prêtres assermentés
; cela ne fit qu’accroître son impopularité.
Le dimanche 17 avril, la famille royale se rendit comme à son
habitude dans l’aile sud du château pour y entendre la messe.
Ce fut un prêtre réfractaire qui la prononça. Au
sortir du roi, les grenadiers de garde refusèrent de porter les
armes et de former la haie sur son passage, et La Fayette dut intervenir.
Le lendemain éclata un incident plus grave encore. On avait placardé
sur les murs du Palais-Royal une affiche accusant le « premier
fonctionnaire public » de protéger les réfractaires
et de se dresser par là même contre la loi. C’était
le jour où la famille royale devait, comme l’année
précédente, quitter le château pour Saint-Cloud.
A onze heures du matin, tandis que le carrosse royal stationnait dans
la cour des Princes, et que des attroupements commençaient à
se former sur la place du Carrousel, arriva La Fayette à la tête
de sa cavalerie. Les passants se faisaient de plus en plus nombreux,
et des cris se firent bientôt entendre. Le roi, la reine, Madame
Elisabeth et les enfants royaux sortirent du château et montèrent
en voiture, et le départ fut ordonné. Mais les gardes
nationaux, barrant le passage, s’y opposèrent. Se penchant
à la portière, le roi s’exclama : « il serait
étonnant, qu’après avoir donné la liberté
à la nation, je ne fusse pas libre moi-même ! ».
Les serviteurs du roi qui entouraient le carrosse furent malmenés,
et un maître d’hôtel de la reine fut menacé
de la lanterne, tandis qu’un garde national injuriait le roi,
lui reprochant de donner asile à des prêtres non jureurs.
Bailly accourut pour faire cesser la tumulte, mais fut impuissant à
calmer les esprits. La Fayette s’approcha de la voiture et proposa
au roi de faire usage de la force. « C’est à vous,
monsieur, répondit celui-ci, à voir ce que vous devez
faire pour exécuter votre constitution ». L’incident
se prolongea pendant deux heures. La famille royale dut finalement regagner
ses appartements. La messe de Pâques eut lieu devant un prêtre
constitutionnel.
Après s’être tournée contre les prêtres,
la Constitution civile semblait se tourner contre le roi. Le mouvement
démocratique s’intensifiait en même temps dans la
capitale.
Dès 1789, quelques jours après le 6 octobre, le secrétaire
des commandements Augeard avait cru devoir prévenir la reine
du danger qui la menaçait bientôt. « Votre Majesté
est prisonnière. — Mon Dieu, avait-elle répondu,
que me dites-vous là ? — Madame, cela est très vrai.
Dès que Sa Majesté n’a plus sa garde d’honneur,
elle est prisonnière. — Ces gens-là, j’ose
le dire, sont plus attentifs que nos gardes. — Attention de geôliers…
» Et Augeard avait ajouté : « Je ne connais qu’un
seul moyen, et il est infaillible, pour sauver les jours du roi, les
vôtres, ceux de vos enfants et de toute la France, c’est
de vous en aller avec Madame Royale et Monsieur le dauphin, habillé
en petite fille, non pas en reine, non pas en princesse, mais en simple
particulière… — Non, avait répondu la reine,
je ne m’en irai pas. Mon devoir est de mourir aux pieds du roi.
»
Pourtant, au mois de juin 1791, le roi lui-même se décida.
L’abolition de son droit de grâce mit le comble à
son désarroi. Il fallait quitter le château, Paris, la
France, et n’y revenir qu’armé jusqu’aux dents
pour écraser la Révolution et reconquérir le pouvoir
absolu.